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Chesnel, ni la douairière, ni Violante ne l’avaient eue. Seul à Croix-de-Vie, il se souvenait que ce jour était le 22 septembre, que le marquis avait eu trente-trois ans et demi le matin même, et que la moitié de l’année fatale était écoulée.

— Violante ! dit-il tout à coup, pourquoi laissez-vous votre mari seul ?

Violante se leva sans répondre et se dirigea vers son appartement. Le marquis n’y était plus.

Ô cœur farouche dont trois mois de bonheur n’avaient amolli que l’écorce ! Digne rejeton de tous ces durs et sombres seigneurs dont il enviait la mort et la vie, incorrigible lignée, race maudite ! … Elle avait cru pourtant le tenir à jamais dans ses mains ! Lui, pendant ce temps, ne songeait qu’à se révolter et à la fuir. Il ne lui avait engagé qu’une partie de lui-même, il gardait l’autre : il se retranchait lentement, en silence, et quand il lui disait qu’il ne voulait vivre que par elle et avec elle, il la trompait. Cœur orgueilleux que la domination d’une femme avait si tôt lassé ! Que souhaitait-il donc ? Il avait l’amour, il avait l’ivresse ; mais de tous ces biens il ne se souciait plus. Ce qu’il voulait, ce n’était que sa liberté sauvage !

Où le joindre maintenant ? Où était-il allé porter sa rêverie sinistre ? Lorsqu’il avait annoncé qu’il voulait écrire, avait-il dit vrai ? Peut-être n’avait-il alors d’autre envie que se débarrasser de sa gardienne ! Un beau nom pour celle que la veille encore il nommait son sauveur et sa reine ! Violante s’approcha de la table ; la plume était trempée d’encre ; il avait écrit, écrit longtemps d’une main bien lourde, cette plume était usée. Point de trace de cette longue correspondance qu’il avait dû mettre à jour, ce qui était pour lui un devoir sacré ! Point de lettres commencées, puis abandonnées, point de fragmens de papier déchirés sur le tapis. Les yeux de la jeune femme se portaient par toute la chambre, avides, pleins de flammés et mouillés aussi de quelques larmes. Ils s’arrêtèrent sur le pupitre dont Martel naguère lui avait fait présent, et dont elle n’avait point voulu qu’il se servît pour écrire. Ce pupitre. Martel l’avait déplacé ; Violante y courut et l’ouvrit. Un grand pli scellé de cinq cachets était là devant ses yeux. Elle s’en saisit. Point de suscription ; une enveloppe blanche et ces cinq cachets ! Violante le retournait entre ses mains. Une pensée traversa son esprit, elle poussa un grand cri, s’appuya au marbre de la cheminée, car elle se sentait défaillir. — Un testament ! murmura-t-elle. Aussitôt elle se redressa ; ses yeux se portèrent à l’horloge. Sept heures ! Il y avait deux heures déjà qu’elle avait quitté Martel. Depuis combien de temps avait-il achevé sa folle, sa détestable besogne ? Elle toucha du bout du doigt les empreintes de cire sur cet