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SCIENCES NATURELLES.

ment de ces formes en quelque sorte surannées ; elles ont rapidement disparu en cédant la place aux nouveau-venus. Au contraire, les formes nées en de vastes régions continentales ont déjà triomphé de nombreux compétiteurs, elles pourront prendre une extension rapide aux dépens des espèces aborigènes lorsqu’on leur offrira une nouvelle patrie. Les espèces européennes naturalisées dans les îles de l’Océanie en ont fourni la preuve. C’est ainsi que certaines contrées du globe ont peut-être souvent changé d’aspect par suite de révolutions semblables. « Comme les bourgeons en se développant, dit M. Darwin, donnent naissance à d’autres bourgeons qui, lorsqu’ils sont vigoureux, végètent avec force et dépassent une multitude de branches plus faibles, ainsi je crois que, par une suite de générations non interrompues, il en a été du grand arbre de la vie qui remplit les couchas de la terre des débris de ses branches mortes et rompues, qui en couvre la surface de ses ramifications toujours nouvelles et toujours brillantes. »

Il est aisé maintenant de concevoir tout l’intérêt que présente, au point de vue de la philosophie naturelle, la disparition d’une espèce entière, surtout si cette disparition s’opère en quelque sorte sous nos yeux et s’il est possible de la suivre pas à pas. Les deux derniers siècles nous ont offert ce spectacle plus d’une fois. La courte histoire du dronte est surtout instructive sous ce rapport.

En 1638, on montrait encore en Angleterre un dronte vivant. Sa peau empaillée fut longtemps conservée au célèbre musée de John Tradescant ; mais la commission administrative de cet établissement jugea utile en 1775 de faire réformer tous les animaux endommagés, et le dronte était de ce nombre. On ne sauva de la destruction que la tête et l’une des pattes, et ces débris ont pris place aujourd’hui dans la collection Ashmoléenne à Oxford. Une autre patte du dronte fut donnée au Musée britannique ; un crâne se retrouva en 1842 à Copenhague ; le Musée de Prague possède un bec du même oiseau ; enfin il existe à Londres, à Vienne, à Berlin et à La Haye des peintures du dronte dues à des artistes hollandais. C’était là, il y a six mois, tout ce qui restait de cet animal bizarre.

Aucun des différens navires qui se sont arrêtés à l’île de France à l’époque où elle ne portait pas encore ce nom n’avait à son bord un naturaliste ; c’est ce qui explique pourquoi les renseignemens qui nous ont été transmis sur le dronte sont si incomplets. Au commencement de ce siècle, Bory de Saint-Vincent fit des recherches sur les lieux mêmes, et il constate que jusqu’au souvenir du dronte s’était perdu dans l’île ; il n’en était même plus question dans les traditions populaires. Il y a une vingtaine d’années, M. Strickland et Melville ont réuni dans un gros volume accompagné de gravures tout ce qu’on savait jusqu’à cette époque sur l’oiseau perdu de l’île Maurice[1].

  1. Strickland et Melville, The Dodo and its Kindred, 1847.