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LE DERNIER AMOUR.

voilà ce que je n’admettrai jamais, et ce qui m’inspirerait un invincible mépris.

— Je vous trouve cruel, reprit Félicie, et vous avez aujourd’hui une façon de dire les choses qui m’épouvante et me blesse. Vous ne voulez pas supposer que l’étranger en question serait un ami qui se prêterait chastement à une épreuve dans l’intérêt du mari ?

— Où avez-vous pris cette morale de vaudeville, Félicie ? Êtes-vous assez enfant pour croire qu’en jouant la comédie de l’amour, le faux rival que vous choisiriez pour aviver l’imagination ou les sens de votre mari n’aurait pas lui-même les sens et l’imagination occupés de vous ? Ah ! si jamais vous aviez la fantaisie de faire servir le masque expressif de Tonino à cette prétendue épreuve,… prenez garde ! je…

— Vous nous tueriez tous les deux ? s’écria Félicie revenue à la joie involontaire de son instinct sauvage.

— Vous vous trompez, lui dis-je. Je ferais quelque chose de pis, je vous dédaignerais profondément l’un et l’autre.

Cette réponse l’irrita, et pour la première fois je la vis courroucée contre moi. — Vous ne m’aimez pas, dit-elle ; vous admettez l’idée que votre amour peut fondre comme une première neige. Qu’est-ce donc pour vous que d’aimer ? Rien ou presque rien ! Vous parlez de passer, en un jour, de l’adoration au mépris, comme de changer votre vêtement d’été pour un vêtement d’hiver ! C’est donc comme cela qu’on entend l’affection quand on est philosophe ? On se trace un plan, on établit une loi, et hors de là il n’y a point le moindre écart possible. Si l’on n’a pas pour compagne une femme sans défauts, un autre soi-même, on ne la tue pas dans un accès de colère… oh non ! on n’est pas assez ému pour cela ! on la tue dans son estime et dès lors dans son cœur. Allons ! une pelletée de terre sur ce cadavre, et tout est dit ! Eh bien ! je trouve cela horrible, et j’aimais mieux l’éternelle brusquerie, l’éternel reproche et l’éternel pardon de mon pauvre Jean. Il n’avait pas d’orgueil, lui, et quand je le contrariais, il me contrariait aussi ; nous étions quittes.

Elle sortit sans vouloir m’entendre, et s’en alla, en pleine nuit, pleurer sur la tombe de Jean. Ainsi Tonino absent était encore l’obstacle à notre mutuelle confiance. Son nom ne pouvait revenir entre nous, l’idée même d’un rapprochement de quelques jours ne pouvait être évoquée sans donner Heu à une querelle sérieuse et sans ébranler de fond en comble l’édifice de notre bonheur ! Après tant d’efforts sincèrement tentés de part et d’autre pour fonder et consolider ce grand ouvrage, le résultat était mortellement triste.

Je réfléchis toute la nuit au parti à prendre pour concilier nos mutuelles susceptibilités avec l’assistance et la sollicitude que nous