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devions à Tonino. Dès le matin, j’en parlai à Félicie. — Occupons-nous de l’enfant, lui dis-je. Querellons-nous encore, s’il le faut, à propos de lui, mais ne l’oublions pas. Votre intention a toujours été d’en faire un cultivateur ? Eh bien ! à défaut d’un peu de science que j’eusse pu lui donner en le gardant près de nous, donnons-lui une véritable éducation spéciale. Envoyons-le dans une ferme-école. Il en existe à notre portée. J’irai le voir souvent, je le surveillerai comme mon fils, et quand il en sortira…

— Il n’en sortira pas, parce qu’il ne voudra pas y entrer, répondit Félicie en m’interrompant avec vivacité. Il est trop âgé, songezdonc ! il a aujourd’hui vingt-deux ans. Ce serait humiliant pour lui de faire son apprentissage avec des enfans. Il a de la vanité, vous le savez, et le voilà en âge de ne plus nous obéir comme un petit garçon. Il n’est point dit d’ailleurs qu’il acceptera votre autorité paternelle comme il acceptait celle de Jean. Le mieux, c’est de lui faire une pension convenable et de l’envoyer chercher de l’ouvrage selon son idée. J’ai assez souffert de vous à cause de lui. Je n’en pourrais supporter davantage ; j’en deviendrais folle. Je ne veux plus de lui ici !

Félicie redevenait exagérée et presque tragique ; mon sourire l’irrita encore. N’est-ce donc rien, reprit-elle, que les menaces que vous m’avez faites hier ? J’avais d’abord cru que vous parliez en thèse générale ; mais, quand le nom de Tonino est venu sur vos lèvres au milieu de tout cela, j’ai bien vu que je ne vous avais jamais compris. J’y ai songé cette nuit, allez ! Si vous avez tant dédaigné mon amour au commencement, c’est parce que vous étiez jaloux de Tonino. Moi, je croyais que ce serait le contraire, et que vous n’étiez pas encore assez jaloux. Voilà pourquoi je vous ai révélé des misères que j’aurais mieux fait de garder pour moi. À présent je vous connais ! Quand vous soupçonnez, vous n’aimez plus, vous méprisez ! Ah ! j’ai été bien imprudente, et je me déteste pour cela.

— Félicie, m’écriai-je, dites-moi que vous m’avez trompé pour éprouver mes sentimens ; dites-moi que Tonino n’a jamais été épris de vous : je pardonnerai un mensonge dont vous n’ayez pas compris la gravité ; j’en rirai avec vous, je vous en remercierai même et avec transport, si vous me délivrez de ce tourment que votre apparente sincérité a fait naître.

— Je n’ai pas menti, reprit-elle, je ne mens jamais ; mais quelquefois l’imagination m’emporte, et, sans bien m’en rendre compte, j’exagère. Cela a dû m’arriver quand je me suis plaint à vous des idées de Tonino. Et puis je suis une nature inquiète, vous le savez bien. J’ai pu, j’ai dû me tromper. Peut-être que l’enfant n’a jamais