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LE DERNIER AMOUR.

Elle fixa le mariage de Tonino au dernier jour du mois. Nous étions au 15 avril, en plein printemps. La floraison hâtive des arbres à fruits était exubérante. Tout chantait, tout brillait dans la campagne. Yanina, enivrée par les regards et les sourires de son jeune fiancé, était comme étouffée de bonheur. Lui, sans perdre l’habitude de son petit sang-froid doucement railleur, avait dans la poitrine des respirations étranges, comme des oppressions d’impatience contenue, ou des élans de joie mystérieuse. Je ne pouvais pas m’empêcher de les trouver beaux dans la naïveté de leur mutuel désir.

Félicie était tranquille, résolue, impénétrable. Elle s’occupait du trousseau des mariés avec sa générosité ordinaire et des soins tout maternels. Vanina, honteuse de la voir coudre, marquer et repasser tout le jour pour elle, venait l’aider ; mais, malgré elle, c’était toujours à quelque harde de son futur qu’elle travaillait avec ardeur et intelligence. De sa propre toilette, elle se souciait à peine, et Félicie était obligée de corriger ses bévues. Elle le faisait avec patience, parlant peu, souriant à peine, affairée, absorbée, pensant à quelque chose qui ne s’exprimait pas et qui semblait impossible à exprimer.

Enfin le grand jour arriva. La mariée, éblouissante de fraîcheur et de parure, vint avec Tonino demander à genoux la bénédiction de la patronne et la mienne.

— Toi, lui dit Félicie en l’embrassant, je te bénis de tout mon cœur. Je n’ai pas de reproches à te faire, tu es une enfant sans malice et sans volonté ; mais je fais un effort pour bénir ton mari. Il aurait dû attendre la fin du deuil de cette maison, où mon frère l’avait reçu et traité comme son fils. Les raisons qu’il a données pour se dispenser de le pleurer une année entière sont des raisons lâches, des raisons d’égoïste. J’y ai cédé à cause de toi, par pitié de ton inexpérience et de ta faiblesse. Je n’attendais pas de toi de grandes vertus, je n’avais pas le droit de t’en demander, ne t’ayant pas élevée avec autant de soin que j’aurais peut-être dû le faire ; mais lui… Enfin n’en parlons plus. Aimez-vous et soyez heureux.

Je trouvai le discours de Félicie gratuitement amer et peu convenable pour les oreilles d’une jeune fille qu’elle devait supposer pure. Je ne sais si la Vanina le comprit ; elle rougit beaucoup et pleura. Tonino lui serra vivement la main sans répondre un mot à Félicie, et quand elle les eut embrassés tous deux, il emmena sa fiancée en lui parlant à l’oreille, comme s’il là consolait des sévérités de la patronne et comme s’il lui disait : Tu sais qu’elle est jalouse ; mais sois tranquille, je te protégerai contre elle.