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Est-ce cela qu’il lui disait, ou cela se passait-il dans mon imagination ? Je regardai Félicie. Elle était pâle, et son œil courroucé suivait le jeune couple sans rien voir autre chose.

Je ne me trompais donc pas ? Tonino ne s’était donc pas trompé ? Elle était jalouse, si jalouse qu’elle ne songeait plus à me le cacher ! Mais quel genre de jalousie était-ce ?

Je voulus le savoir ; ma langue, enchaînée par la délicatesse, rompit ses liens. Je fus sévère, terrible peut-être. Je blâmai ce qui venait de se passer, je questionnai durement. Félicie trembla, balbutia, faillit s’évanouir : je fus impitoyable. Elle prit tout à coup son parti, comme elle le prenait toujours quand on l’y forçait. Eh bien ! oui, dit-elle, je suis jalouse de cette jeunesse, de cette innocence, de cette virginité, qui est pour moi comme un vivant reproche. Ce n’est pas de Tonino, c’est de vous que je suis jalouse quand je regarde la Vanina. Je la trouve trop heureuse d’être aimée avec ardeur par ce jeune homme et contemplée par vous avec une sorte de respect, comme si elle méritait votre estime ! Qu’a-t-elle fait pour vous paraître sainte ? Sans moi, sans mes menaces, Tonino eût depuis longtemps flétri cette pureté de hasard, et c’est à moi qu’elle doit de pouvoir mettre aujourd’hui le bouton d’oranger à sa ceinture ! Comment voulez-vous que je ne sois pas irritée de l’air de triomphe avec lequel Tonino va la conduire à l’église ? Il fallait bien rabattre un peu leur orgueil ! Et vous me blâmez de l’avoir essayé ! C’est me dire que je n’ai pas le droit de faire la morale aux autres ; c’est m’humilier cruellement ! Et avec cela vous me demandez si je regrette que Tonino soit heureux, comme si j’étais une mauvaise mère, ou comme si… Non, je ne veux pas aller jusqu’au fond de votre pensée. Il me semble que j’y trouverais toujours suspendu sur ma pauvre tête ce mépris qui doit me tuer.

Elle pleura amèrement, je dus la calmer, la rassurer, la consoler. Tonino m’appelait avec impatience. On nous attendait pour partir. Il entra et vit Félicie en larmes. Ses yeux expressifs se portèrent sur moi. Ils me disaient clairement : Je le savais bien que vous ne pouviez pas être heureux l’un par l’autre !

J’entraînai Félicie, honteux et irrité de sa figure souffrante, encore sillonnée de larmes. La Vanina la regardait timidement, avec un mélange de compassion, de respect et de fierté, comme si elle eût été tentée de lui demander pardon de l’avoir emporté sur elle.

Quand le prêtre eut béni leur union, les mariés, qui n’avaient eu pour escorte que nous, les témoins et les gens de la maison, nous remercièrent et nous demandèrent la permission d’aller passer trois jours chez la mère de Vanina, qui demeurait dans la montagne. Félicie acquiesça froidement à, ce désir et leur dit à peine adieu.