Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
316
REVUE DES DEUX MONDES.

sorte de rapport était établi entre la vie de Ferdinand et les maximes de Marc-Aurèle, cet article était interdit par le gouvernement. Bientôt, la révolution de 1830 aidant, l’absolutisme levait plus hardiment le masque. Le grand-duc Léopold revenant de Vienne refusait une fête populaire qu’on lui offrait à Florence pour l’enhardir au libéralisme, et au lieu de concessions, on chassait les réfugiés illustres, Poerio, Giordani, qui jouissaient d’une paisible hospitalité en Toscane. Enfin l’Anthologie elle-même n’échappait pas au mouvement de réaction : elle était supprimée. D’un autre côté, si Niccolini obtenait les plus éclatans, les plus populaires succès par ses tragédies, s’il recevait une médaille du public florentin, il avait à lutter avec la censure, avec toutes les inimitiés littéraires et politiques. « Vous n’avez point d’idée, écrivait-il à Mustoxidi, combien la méchanceté, qui n’a point d’excuse, cherche à me tourmenter et à me faire payer la fortune de mon Foscarini. Ce ne sont pas des critiques, ce sont des calomnies, des persécutions. Il y a un je ne sais quoi d’indélébile dans la nature des peuples, et les trois étincelles dont parle Dante sont le seul feu qui soit resté allumé ici !… » Niccolini ressentait douloureusement cette guerre qui, rapprochée d’une situation publique aggravée, redoublait ce qu’il appelait sa féroce mélancolie. Niccolini n’avait-il pas eu d’autres déceptions plus intimes ? Je ne sais : il badine quelquefois sans cesser d’être d’une discrétion absolue, il se dit à tout instant dégoûté, il ne se croit plus fait pour éprouver de l’amour ; mais en même temps il parle dans une lettre, comme en passant, à la dérobée, de « certaines choses qu’il a ressenties si vivement, que deux fois elles ont failli lui coûter la santé, la raison et la vie… » C’était assez pour laisser des traces et pour ajouter peut-être au sentiment attristé d’une situation publique assombrie, au dégoût des guerres littéraires subalternes.

Ce qui est certain, c’est qu’à un moment donné qui coïncide avec une recrudescence de réaction en Toscane, sous l’influence de causes diverses, publiques ou particulières, Niccolini se sentait pris d’un goût plus vif de retraite ou de demi-solitude. Il se dérobait un peu et semblait se rattacher à un idéal de vie intérieure inaccessible aux orages et aux tracasseries ; il se livrait moins au monde. Niccolini ne renonçait pas au théâtre ; mais, retiré dans sa pensée, il se préoccupait moins des conditions scéniques, et il préparait des œuvres conçues en dehors de toute idée de représentation théâtrale, des drames à la Shakspeare, classiques encore de forme, révolutionnaires par la donnée, par le mouvement, par la multiplicité des personnages. Il mettait la main à ces vastes tableaux historiques, Filippo Strozzi, Arnaldo da Brescia. Dans sa vie privée, il res-