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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

la partie était achevée, dans l’heure délicieuse qui précédait le moment du départ. Tout était charmant à cette heure pour ceux qui entouraient la douairière, tout, jusqu’au souci de détourner ses pensées lorsqu’elle en changeait soudain, lorsque la mémoire du passé, la terreur de l’avenir, rentraient par surprise dans son âme troublée, lorsque les pas du marquis venaient à résonner tout à coup au-dessus de sa tête sur le plancher de la galerie du nord. La mère affligée appuyait alors ses deux mains sur son cœur et demeurait muette ; mais pour ses amis tout était doux, jusqu’au soin de chapitrer et de calmer sa peine. Ils savaient pourtant bien si cette douleur, qu’ils accusaient de n’être point raisonnable, était clairvoyante et juste ! — L’avocat s’était assis dans la bergère, il se leva. Il ouvrit la porte de la pièce voisine ; c’était la chambre à coucher de la marquise. Le désordre qui suit la mort régnait dans cette chambre… Ce spectacle était trop cruel ; M. de Bochardière recula, et, rentrant dans le salon, il se laissa retomber dans la bergère en murmurant : Si tout encore était fini !… Mais le malheur présent n’était point le dernier ; un autre deuil planait sur cette maison maudite. L’avocat, songeant à cela, frissonna comme un homme pris de fièvre. L’image de sa fille enfermée là-haut avec ce terrible mari qu’il lui avait donné passait devant ses yeux ; il se demandait où Violante avait puisé un si grand courage, et il se confessait tout bas que ce n’était point de lui qu’elle le tenait ; puis sa conscience, qu’il s’efforçait en vain de rendre muette, reprenait malgré lui la parole et lui disait : Tout ce qui arrive est ta faute ! Il avait voulu que sa fille fut marquise, elle l’était ; il avait envisagé sans trop de crainte pour elle la pensée de la voir douairière ; elle était près de l’être… M. de Bochardière bondit hors de son fauteuil en entendant de grands cris qui retentissaient autour du château.

… Non, Violante ne croyait pas avoir perdu toute chance de victoire ! non, elle ne renonçait ni au combat ni à l’espérance ! Peut-être eût-elle consenti à courber la tête devant un mal ordinaire, peut-être eût-elle abandonné Martel à la main de Dieu, qui prend ceux qu’elle veut prendre et qui fait les veuves ; mais l’abandonner à son propre délire, non, non !… Elle était Là, dans sa chambre bleue comme le ciel, dont les douces couleurs avaient été choisies pour encadrer le bonheur et l’amour, — assise sur le sofa, le marquis à ses côtés. Les grands traits de Martel, bien qu’un peu amaigris, n’avaient rien perdu de leur beauté mâle. Ses longs cheveux d’or, signe de sa race, ne flottaient point en désordre sur ses épaules, car une fée était là qui en prenait soin ; mais ses yeux, errant comme ceux d’un enfant dans la chambre, s’arrêtaient à tous les objets brillans, et il souriait. En même temps il cherchait un