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jouet auprès de lui ; Violante lui donna sa main. La chaleur de cette main délicate et vaillante, se communiquant à son sang, ralluma comme une lueur subite dans son âme.

— Le mauvais esprit est sur moi, s’écria-t-il. C’est lui qui m’aveugle et qui m’agite. Je ne sais plus ce que je fais, je ne suis plus mon maître, je déchire le cœur de ceux qui m’aiment… Ma mère ? oïl est ma mère ? qui m’a donc dit qu’elle allait mourir ?

— Personne ne vous a dit cela, répliqua Violante. Revenez auprès de moi, Martel.

Mais ce pressentiment d’une âme égarée la frappait plus douloureusement que tout le reste. Martel, contre sa coutume, ne lui obéissait pas. Il s’avançait vers la fenêtre. Violante essaya de se lever pour aller à lui ; elle ne le put, et, réfléchissant que cette croisée s’ouvrait sur les jardins et que le marquis, de ce côté du château, ne verrait point les tentures noires, elle demeura sur le sofa. Elle songeait à la douairière qui l’aimait, et que, retenue dans cette chambre, elle n’avait pu payer même d’un faible retour en l’assistant à l’heure suprême. Les derniers mots de la marquise avaient été pour elle : — Dites à ma fille qu’elle combatte toujours !

— Puis elle avait murmuré le nom de son fils. — Ma mère va mourir ! répéta le marquis debout devant la croisée. Ces paroles n’avaient plus de sens sur ses lèvres ; mais elles s’y étaient fixées, et il les répétait en souriant. — Taisez-vous, Martel, balbutia Violante. — Il se tut, et il appuya son front contre les les vitres. — Oui, pensait Violante, oui, je combattrai ; mais aujourd’hui je suis faible ! — Ces cruelles funérailles de la douairière étaient encore trop près d’elle ; le plus ferme courage a ses heures de déclin, et puis Violante ne s’avouait pas la vérité tout entière ; elle n’était point que faible, elle était lasse, car elle sentait bien qu’elle s’épuisait lentement dans cette lutte poignante, et que l’œuvre du salut de Martel n’avançait point. Que faire contre cette âme inerte ? Attendre, veiller, défendre le marquis de lui-même ?… Eh quoi ! rien de plus ! Et les jours s’écoulaient, et Violante ne trouvait pas le moyen d’arracher ce pauvre esprit à ses ténèbres. 11 lui semblait pourtant que si les yeux de Martel la reconnaissaient, si son cœur l’entendait, ne fût-ce qu’un moment, il lui serait rendu. Il fallait une grande crise pour le sauver ; l’idée vint à la jeune femme de le ramener h ses côtés et de lui crier : Eh bien ! oui, votre mère est morte ! — puis à la faveur de la clarté déchirante qui se ferait alors dans son âme, de lui jeter un suprême appel… — Martel, dit la jeune femme, revenez donc près de moi. On eût dit qu’il reconnaissait la voix magique qui l’appelait, il tressaillit. Dans ce mouvement, son bras toucha la patère de l’un des rideaux ; cette patère mal attachée tomba sur le tapis ; la verge