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si profonde que les douairières retirées en province lui en gardaient encore rancune quinze ans après.

Il est des momens où Marie-Antoinette a des paroles de regret pour le silence et pour la retraite. On en aurait à moins, et qui donc n’a eu de ces momens-là? L’auteur de la critique ne pense point cependant qu’elle ait pu déplorer à son heure « la destinée des filles du trône » qu’elle ait eu « des instans de noir qu’elle avait peine à secouer, » et qu’enfin elle eût voulu « se laisser aller et s’écouter vivre. » Il ne voit là que des mièvreries indignes de la fille de Marie -Thérèse. — Des mièvreries! mais dans la véritable acception du mot ce seraient de petites malices, des légèretés d’enfant : que veut dire ici la critique par l’emploi d’une telle expression pour qualifier des pensées de chagrin et d’ennui? Quant au fond du reproche, je lui en demande pardon, il est injustifiable alors qu’on se souvient des tracasseries que Marie-Antoinette essuyait incessamment dans sa propre famille, quand on connaît son imagination portée à la rêverie, quand on se rappelle la jeune femme s’envolant à son Trianon pour oublier les contraintes du trône, pour se sentir vivre, comme elle disait, pour y être elle-même, quand on se souvient aussi des termes si pleins de sentiment de ses correspondances de tous les temps avec la princesse de Lamballe, avec la duchesse de Polignac, quand on se rappelle surtout encore ces derniers mots romanesques d’une de ses lettres à la duchesse, dont on n’a pas la ressource de nier l’authenticité: « Dans les malheurs qui nous accablent, nous avons besoin de plus de courage que sur un champ de bataille, ou plutôt, à vrai dire, c’en est un réel ici... Il y a des entraves, et des combats continuels à livrer. En vérité, je suis honteuse et indignée du peu d’énergie des honnêtes gens ; une captivité perpétuelle dans une tour isolée sur les bords de la mer serait moins cruelle[1]... »

Mais, m’objectera-t-on, cette lettre est de l’époque virile et affligée; de tels mots alors n’ont rien qui étonne. Eh bien! retournons à ce Trianon, qui lui-même est une démonstration des goûts de la nature et en quelque sorte idylliques de la reine; relisons quelques lignes de ces correspondances avec Mme de Lamballe que nous nous étions tout à l’heure abstenu de reproduire, parce qu’elles sont dans toutes les mémoires, de ces lettres de 1774 à 1785 à propos de Trianon, à propos des jeunes filles qu’elles mariaient de concert, et nous les retrouverons pleines de traits de cette vivacité subitement voilée, de ces sourires en quelque sorte mouillés qui attestent les dispositions tendres, rêveuses, romanesques, mé-

  1. 17 mars 1792.