Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/478

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lancoliques même de Marie-Antoinette. — Voyez par exemple cette lettre si charmante : « Je la ferai venir, dit-elle de sa jeune protégée, et sans qu’elle s’en doute nous saurons toutes ses petites affaires de cœur, nous adoucirons tous ses petits chagrins... Le bonheur des autres fait du bien partout, mais il semble qu’il en fait encore plus devant la simple nature et loin du bruit où nous sommes condamnés à vivre. » Et cette autre dont l’heureux possesseur est M. Ambroise-Firmin Didot : « Je veux être marraine du premier enfant de la petite Antoinette. J’ai été tout attendrie d’une lettre de sa mère qu’Elisabeth m’a fait voir, car Elisabeth la protège aussi. Je ne crois pas qu’il soit possible d’écrire avec plus de sensibilité et de religion. Il y a dans ces classes-là des vertus cachées, des âmes honnêtes jusqu’à la plus haute vertu chrétienne. Pensons à les savoir distinguer. Je chargerai l’abbé de travailler à en découvrir[1]. »

Toute la correspondance de Trianon est pleine de ces doux épanchemens d’une Allemande française. Plus tard elle trouve des ex- pressions sublimes qui ont encore été critiquées comme faisant trop saillie, comme trop littéraires ; mais quoi de plus beau, quoi de plus vrai et de plus littéraire que sa réponse : « J’en appelle à toutes les mères qui sont ici? » Et le mot à Mme de Lamballe : « Ne venez pas vous jeter dans la gueule du tigre. » Il faut cependant bien se résigner à reconnaître que Marie-Antoinette avait trop de caractère pour ne pas s’être fait peu à peu un style : style parlé, sensé, ingénieux, avec des éclairs touchans ou naïfs en 1774 ; rêveur, vaporeux même en ses beaux jours contemplatifs de nature et de cœur; plus tard cornélien. Elle avait peu de souvenirs précis littérairement parlant, mais elle les avait pleins de bonheur et d’à-propos. Dans la première période, elle ne se souviendra que par hasard, elle n’aura d’abord que des réminiscences en général toutes féminines et frivoles; elle songera encore aux Contes bleus et à Robinson, ensuite elle s’élèvera à Esther, à Athalie, aux opéras de Gluck, aux vers de Métastase. Plus tard elle aura le langage d’une reine qui est mère, qui a relu son histoire romaine, son histoire d’Angleterre, et certainement Corneille, qu’admirait Louis XVI, et qu’à la même époque ont dû lire Marie-Antoinette et Charlotte Corday.

Et qu’on ne nous dise pas ici que nous peignons un fantôme légendaire, que nous satisfaisons à tout prix une manie romanesque; nous n’avons caractérisé que ce qui est vrai, que ce qui est historiquement irrécusable. Où donc en ce que nous avons rappelé est la mièvrerie? Des mièvreries, des naïvetés, des enfantillages, la

  1. 27 novembre 1781.