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quelle manquait de logique, je n’avais plus à m’étonner qu’elle manquât de conscience.

Soumettre son complice à un interrogatoire, c’était ouvrir la porte aux plus absurdes romans et aux drames les plus lâchement ridicules. Plutôt que de me commettre moralement avec ce drôle, j’aurais accepté encore l’outrage de ses caresses. Plus il s’avilissait lui-même, moins il pouvait m’avilir.

Je retournai donc à la Diablerette, résolu à ne rien laisser pressentir jusqu’au jour où je tiendrais tous les fils de la trahison. Ils ne s’écrivaient probablement pas, mais ils avaient dû s’écrire. Tout à coup je me souvins que, peu de temps après notre mariage, Félicie m’avait remis une petite liasse de papiers soigneusement cachetés, en me faisant jurer sur notre mutuelle confiance que je ne l’ouvrirais que si elle mourait avant moi. J’avais pensé que c’était un testament, et, résolu à ne jamais l’accepter, je l’avais serré sans y attacher d’importance. Quelquefois je m’étais pourtant dit que ce pouvait être un récit confidentiel de sa première faute, et, comme je ne m’étais pas engagé à le lire, je comptais ne jamais remuer les cendres d’un passé que mon amour avait anéanti, à moins que Félicie ne m’en reparlât expressément. Elle ne m’en avait pas reparlé.

Maintenant ma pensée pouvait admettre d’autres suppositions. Les femmes de ce caractère ont des besoins passionnés d’expansion qui ne sont que le besoin d’encourager leurs fautes et de poétiser leurs vices. Ces papiers pouvaient avoir trait à la découverte que j’avais cru faire, que j’avais probablement faite dès les premiers jours. Ils m’appartenaient. J’avais juré par quelque chose qui n’existait plus, que l’on avait foulé aux pieds, ma confiance ! Je n’eus pas de scrupules, je brisai le cachet. C’était la courte et énergique correspondance de Tonino et de Félicie à partir du voyage de Tonino, en Italie, plus d’un an avant notre mariage. Je traduis de l’italien :

de félicie.

Oui, je l’aime, oui, c’est de l’amour, c’est de l’adoration que j’ai pour lui. Puisque tu veux le savoir, sache-le. Je vois bien que tu ne me laisseras pas tranquille que je ne t’aie dit la vérité. Après, que diras-tu encore ? Toi, je ne t’aime pas, je ne t’ai jamais aimé, tu le sais bien ; faut-il te le répéter éternellement ?

de tonino.

Eh bien ! je le tuerai, ton Sylvestre, et ce sera ta faute. Je l’aimais, tu me le fais haïr. Oui, il est grand, il est bon, il est parfait, je le sais ; mais tu le condamnes à mort, Je t’aime, moi ; est-ce que