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tarissait pas en éloges sur la perfection de l’ensemble et des détails de cette brillante composition.

Pour moi qui n’avais pas les connaissances techniques de mon hôte, et que mon goût, d’accord avec mon ignorance, porte à rechercher surtout dans les œuvres d’art leur côté moral, mon tableau de prédilection était une Mort de Marie, sujet si bien fait pour la peinture, si souvent traité au moyen âge, et qui depuis a comme échappé à l’art moderne. Il semble que nous nous refusions à laisser mourir comme une simple femme celle que nous honorons, que nous adorons presque comme la mère de Dieu, et en fait, depuis le XVIe siècle, je ne connais point de tableau célèbre qui reproduise cette grande scène. On n’est pas bien sûr du véritable auteur de celui-ci. MM. Boisserée le donnent à Hemling, et on peut très bien y retrouver en effet sa manière pleine d’onction et sa touche pathétique.

L’ouvrage a environ cinq pieds de large sur quatre de haut. Marie est le centre de la composition. Elle est couchée sur un grand lit rouge surmonté d’un dais de même couleur; mais ses vêtemens et les oreillers sont blancs, image de sa pureté sans tache au milieu des agitations de sa vie. A droite et sur les bords du lit, les apôtres en diverses postures donnent tous les signes de la plus violente douleur; à gauche, saint Jean, loin de s’abandonner au désespoir, porte un regard plein de foi sur celle qui fut la mère de son maître bien-aimé, et il place dans sa main inanimée un flambeau, symbole de l’espérance. Le visage de Marie semble avoir été peint par Jean de Fiesole ou par Lesueur : il a déjà la pâleur de la mort; les lèvres s’entr’ouvrent légèrement pour laisser passer l’âme sainte qui retourne vers son Fils[1].

MM. Boisserée étaient trop artistes pour ne pas aimer passionnément la riche nature qui avait inspiré leurs peintres favoris. Souvent nous faisions ensemble avec quelques amis de petites courses sur les bords du Rhin, où nous nous plaisions à contempler le beau fleuve couvert de toute sorte d’embarcations, — et qui à toute heure nous offrait un spectacle toujours nouveau, — ou bien nous nous dirigions vers les sources du Neckar, et nous allions dîner à Neckargemünd. Quelquefois aussi nous visitions Schwetzingen, superbe maison de plaisance dont le parc immense est une promenade célèbre près de Manheim; nous poussions même jusqu’à cette charmante petite ville, assise au confluent du Neckar et du Rhin, dont les remparts, détruits par la guerre, sont aujourd’hui remplacés

  1. Les tableaux des frères Boisserée ont été plus tard achetés par le roi de Bavière, et forment aujourd’hui une des plus précieuses parties de la pinacothèque de Munich.