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par d’agréables jardins, et qui possède de riches cabinets d’histoire naturelle, une bibliothèque considérable, un observatoire, un musée de sculpture et aussi de peinture rempli de tableaux de tout pays et de toute époque, pour lesquels MM. Boisserée n’auraient pas donné la moindre pièce de leur petite, mais précieuse collection, et où pourtant, faute de mieux, M. Creuzer ne dédaignait pas d’aller voir les plus célèbres statues antiques modelées en stuc sur les originaux.

George-Frédéric Creuzer, né à Marburg en 1771, était encore en 1817 dans toute l’ardeur de ses travaux. Il avait embrassé dans sa jeunesse la philosophie de la nature, jeune aussi, et qui dès son début avait ravivé l’étude de l’antiquité en rappelant l’attention sur les religions de la nature, auxquelles s’appliquait tout particulièrement la philosophie nouvelle. M. Schelling lui-même avait donné l’exemple en 1793 par un écrit fort remarqué sur les mythes, écrit qu’il venait de développer en 1815 dans un mémoire où il tentait de porter la lumière dans la très obscure mythologie de Samothrace[1]. Entré de bonne heure dans la nouvelle voie ouverte à l’érudition, M. Creuzer avait publié en 1810 et 1812 un ouvrage considérable : Symbolique et mythologie des anciens peuples et surtout des Grecs[2]. Il y avait dans cet ouvrage infiniment d’esprit et de sagacité, beaucoup d’imagination, peu de critique, et une explication des religions anciennes assez semblable à celle de l’école d’Alexandrie. Aussi dans ces derniers temps le savant philologue s’était-il fort occupé de cette école; il préparait une édition nouvelle de Plotin, et il y avait préludé en 1814 en mettant au jour, avec un immense commentaire, le chapitre célèbre de Plotin sur la beauté. L’auteur me fit cadeau à Heidelberg de ce gros volume. Comme j’en étais alors à mes premières études sur Platon, les recherches passionnées de M. Creuzer sur toute l’école néoplatonicienne venaient comme à point pour m’intéresser, et je passais peu de jours sans aller consulter celui qui me tenait lieu pour ainsi dire à Heidelberg d’un philosophe et d’un mystagogue alexandrin. C’est de là que j’ai pris le goût de la philosophie alexandrine, et je le pris si bien qu’à mon tour j’entrai dans l’arène et entrepris de publier les œuvres inédites de Proclus, le plus illustre philosophe de cette école après Plotin, à l’aide des manuscrits que contenait la bibliothèque de Paris. Cependant je ne tardai pas à reconnaître que l’interprétation des religions de l’antiquité donnée par M. Creuzer n’était rien moins que sûre; je doutai fort que les premiers cultes de la Grèce eussent été saisis et expliqués par

  1. Uber die Gottheiten von Samothrake.
  2. Symbolik und Mythologie der alten Volker, besonders der Griechen.