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manière définitive. L’on a reconnu que l’air vicié par une cause quelconque de corruption est à peu près complètement dépourvu d’ozone, et que l’air provenant des forêts ou du voisinage des grandes cascades[1] se trouve dans les meilleures conditions d’oxygénation, c’est-à-dire de salubrité. Cette œuvre d’assainissement appartient essentiellement à la plante; elle l’a accomplie dans des proportions énormes pendant les âges lointains de l’histoire géologique, alors que les gigantesques forêts de l’époque houillère absorbaient les torrens d’acide carbonique dont l’atmosphère était saturée; elle la poursuit aujourd’hui sur une échelle moindre sans doute, mais de façon à maintenir l’équilibre de l’atmosphère. Ce n’est pas tout : par suite de la chute annuelle des feuilles, la forêt rend à la terre non-seulement une grande partie des substances minérales que les racines avaient primitivement absorbées, mais encore la matière organique de ces mêmes feuilles. Ainsi se produisent à la longue des couches considérables d’humus dont les sucs, entraînés par les eaux, vont répandre dans les champs limitrophes la richesse et la fécondité, en même temps qu’ils fertilisent la forêt; celle-ci de la sorte féconde son propre sol et se nourrit véritablement d’elle-même. Enfin un phénomène pour le moins aussi important que tous ceux dont il vient d’être question, c’est le mécanisme tout à la fois simple et grandiose par le moyen duquel la forêt se trouve être une sorte de machine hydraulique d’une puissance incomparable. Qu’arrive-t-il en effet? L’évaporation des liquides divers contenus dans le sol même de la forêt et dans les masses végétales qui la constituent produit un refroidissement considérable qui condense les couches d’air humide amenées par les vents. La forêt engendre donc le nuage et soutire ainsi de l’atmosphère toutes les quantités d’eau qui, sous forme de pluie, de neige ou de brumes, viennent périodiquement se déverser sur elle[2]. Là ne se borne pas le rôle bienfaisant de la forêt; elle ne se contente pas d’amasser l’eau et de se transformer en un réservoir inépuisable : elle fait plus et mieux, elle se charge aussi de l’œuvre de répartition; elle divise, filtre, distribue, alimente ici la source, plus loin le ruisseau, là-bas le fleuve, et supprime le torrent surtout, cette redoutable avalanche liquide, cause de tant de désastres[3].

  1. La pulvérisation de l’eau, par suite de sa chute, produit une quantité considérable d’ozone.
  2. D’anciens historiens racontent qu’un laurier célèbre dans l’île de Hierro (groupe des Canaries) fournissait jadis de l’eau potable aux habitans de l’île. Cette eau, qui s’écoulait goutte à goutte de son feuillage, était recueillie dans des citernes. Chaque matin, la brise de mer poussait un nuage auprès de l’arbre providentiel, qui l’attirait au-dessus de son énorme cime.
  3. En réfléchissant à cette œuvre bienfaisante, l’on ne saurait songer sans regret à l’adoption du projet de loi qui autorise l’aliénation de 80 à 100,000 hectares de forêts. Il faudrait reboiser au contraire et tourner de ce côté tous nos efforts. « Depuis seize ans, dit M. Becquerel, dont nul ne contestera l’autorité en pareille matière, on autorise annuellement le défrichement d’environ 15,000 hectares. On peut évaluer à une contenance de 9,000 hectares le défrichement au-dessous de 10 hectares en plaine et les défrichemens illicites. Si l’on ajoute encore à cette contenance 6,000 hectares de bois domaniaux et 1,000 hectares de bois communaux, on arrive à un total d’environ 31,000 hectares, qui représente très approximativement la surface boisée livrée chaque année au défrichement. On ne sait pas encore officiellement si la totalité est défrichée. Or, si le défrichement n’éprouvait pas un temps d’arrêt et qu’il fût effectué en totalité, on aurait défriché en un siècle 3,000,000 hectares sur 8,804,550 hectares représentant la superficie boisée de la France. » Si l’on considère maintenant qu’à ces défrichemens annuels de 31,000 hectares l’on ne peut opposer qu’un reboisement annuel de 10,000 hectares environ, et d’autre part que, malgré l’usage de plus en plus répandu du fer dans les constructions civiles et navales, la production totale de la France en fer et en fonte ne représente que la centième partie environ du bois employé dans les constructions et dans l’industrie, on comprendra sans peine quelle fâcheuse atteinte va porter à l’équilibre déjà rompu le défrichement des 100,000 hectares qui tout récemment viennent d’être rayés de la surface forestière de notre territoire. Voyez à ce sujet, dans la Revue du 1er mars 1866, une étude de M. Clavé.