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La philosophie positive provient de deux opérations : la détermination des faits généraux de chaque science fondamentale, et le groupement ou coordination de ces faits. Déterminer les faits généraux d’une science particulière et les coordonner, c’est, comme il a été dit plus haut, faire la philosophie d’une science. Ce travail, toujours ardu, même quand il se borne à un seul domaine, devient immense quand il s’étend au domaine entier de ce que M. Comte appelle les six sciences fondamentales. Aucun philosophe n’a exécuté rien de pareil. Si, pour en venir à bout, il fut besoin d’un esprit encyclopédique, il fut besoin aussi d’une instruction encyclopédique, qui, je ne crains pas de le dire, n’appartenait à personne qu’à M. Comte quand il commença et acheva son entreprise. Au reste, M. Mill admire grandement et loue hautement toute cette partie de l’œuvre, du moins jusqu’à la biologie et sauf ce qui est relatif à la sociologie. Quand M. Comte eut ainsi entre les mains tous les faits généraux des sciences positives, il comprit (mais qui l’avait compris avant lui?) qu’il tenait les élémens d’une nouvelle philosophie, un substratum philosophique complètement original et tout à fait différent de celui des philosophies antécédentes. De cette façon, la première opération était terminée et la matière de la philosophie était trouvée.

La seconde opération consistait à infuser dans ce substratum la vie et le mouvement, c’est-à-dire à y appliquer une méthode qui lui convînt. Comme la philosophie d’une science est la coordination de ses faits généraux, il s’ensuit que la philosophie totale est la coordination des groupes particuliers obtenus dans la première opération. L’écueil était de prendre pour principe de coordination une vue quelconque de l’esprit et d’introduire par une grave méprise le subjectif, banni de tout le reste. La coordination fut réglée par le degré de complication des phénomènes, suivant la hiérarchie qu’offre la nature elle-même dans les faits physiques, chimiques et biologiques, et elle s’appuie concurremment sur l’ordre historique, qui est conforme au degré de complication, et sur l’ordre didactique, qui oblige l’esprit à passer par un degré pour atteindre l’autre.

Ainsi fut faite la philosophie positive avec un substratum qu’aucune main n’avait encore rassemblé et avec un principe de coordination naturelle, historique et didactique qu’aucune spéculation n’avait encore mis en usage.

M. Mill, à propos de la sociologie, dit que l’espérance de la créer fut dès les premiers temps le mobile de tous les travaux philosophiques de M. Comte. Cela n’est point suffisamment exact : constituer la sociologie fut pour M. Comte un moyen, non un but; le but était la philosophie positive. M. Comte trouvait une mathématique, une astronomie, une physique, une chimie, une biologie