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rivé ? Peut-être serais-je en route pour Téhéran. Veux-tu savoir comment les choses se passent aujourd’hui?... L’Iris couleur de suie frappe trois petits coups discrets. On ouvre. — Que voulez-vous? — Point de réponse, un air effaré, un doigt se posant en travers sur deux grosses lèvres. Du silence, du mystère. Elle entre, regarde autour d’elle, interroge les murailles, sort enfin de sa poche un billet. — Demain, à la même heure, je viendrai chercher la réponse... et de s’échapper dans la nuit.

Je restai seul avec le billet. Il fut bientôt lu. — « Je ne sais pas dire non. Il faut que je parte. » Une jolie écriture, ma foi! très courante, oh! mais courante à courir à toutes jambes jusqu’au bout du monde.

— C’est étrange, Georgette, pensais-je ; à vous voir, on dirait que tout mouvement vous coûte, et vous voilà prête à chercher le bonheur à pied et à cheval. Belle Orientale, belle paresseuse, vous êtes de singulières filles, vous et vos pareilles; votre vie est un sommeil jusqu’à ce qu’un éclair de passion vous réveille en sursaut; alors vous osez tout, et si la porte est fermée, vous sautez par la fenêtre.

Je veux être sincère. Je conviens que je gardai longtemps ce billet dans ma main; je le rouvrais et je le refermais, et je ressentais une sorte d’émotion qui ne laissait pas de me plaire. Il est toujours agréable de pouvoir se dire : Si je voulais!... — Maître sot, vous savez bien que vous ne voudrez pas. — Cela est certain, mais si je voulais...

J’arpentai la chambre à grands pas en fredonnant une chanson. Et de nouveau je regardais le billet qui me regardait aussi. Ce chiffon de papier était ensorcelé. Par momens je voyais s’y dessiner une petite bouche mignonne, finement découpée, fraîche comme une cerise, et deux grands yeux languissans. L’instant d’après, je ne voyais plus que la figure ridée et mystérieuse d’une sibylle qui semblait me dire : Veux-tu? ne veux-tu pas?

Je ne sais ce qui se passa, mais il est certain que vers minuit ma lampe s’éteignit, et qu’au clair de la lune il s’engagea dans ma chambre un entretien très animé. Un des interlocuteurs (tous deux me ressemblaient) était un homme grave qui se promenait en long et en large, les mains derrière le dos, et qui semblait se dire à peu près comme le nonce Roberti : — Bisogna infarinarsi di teologia e farsi un fonda di politica. Le second, grand jeune homme pâle et chevelu qui me rappelait certain portrait à l’huile qu’on fit de moi il y a six ans, se tenait debout et immobile derrière un rideau, dans l’embrasure d’une fenêtre; de là il regardait attentivement deux lumières qui brillaient au-dessus d’un massif, et en les regardant il croyait voir M. Adams se démenant dans sa chambre