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à responsabilité limitée a multiplié les compagnies de finance et les maisons d’escompte peu expérimentées, ardentes au gain. Bientôt après une source féconde de déceptions s’est ouverte avec le nouveau mode d’entreprise des chemins de fer. À l’entraînement des placemens multipliés à l’étranger, on a vu se joindre les manœuvres audacieuses des ours (bears)[1], spéculateurs âpres, qui ont combiné d’actifs efforts pour précipiter la chute des entreprises vacillantes, afin de réaliser de tristes bénéfices sur la baisse des actions dont ils étaient les promoteurs. Enfin l’ébranlement causé par l’approche d’une grande guerre européenne dont personne ne pouvait prévoir la marche rapide, l’agitation provoquée par le bill de reform et le changement inattendu du cabinet, qui a mis lord Derby à la place du comte Russell et M. Disraeli à la place de M. Gladstone, expliquent assez, pour nous en tenir aux points culminans, l’invasion et la persistance de la crise, et contribuent à faire admirer la constance énergique avec laquelle l’Angleterre a su dominer un mal qu’il lui avait été impossible de conjurer.

Rien de plus instructif, en ce qui concerne l’action des sociétés À responsabilité limitée, que l’étude du désastre causé par la maison d’escompte Overend, Gurney et C°. Un grand nombre de créations suscitées par le système nouveau étaient venues lui disputer le terrain, lui faisant une concurrence acharnée. Les nouveaux venus cherchaient à multiplier à tout prix les dépôts qu’on leur confiait, et, pour ne pas se voir enlever les cliens, la vieille maison Gurney, déjà rudement atteinte et condamnée à de fâcheux expédiens, se lança dans la même voie hasardeuse que ses rivales. Une lutte de facilités abusives et d’offres séduisantes s’établit. Le taux de l’intérêt servi s’éleva, alors que le produit des sommes empruntées restait le même. Pour grossir celui-ci, afin de rétablir l’équilibre entre les recettes et les dépenses qu’une méthode vicieuse avait rompu, on fit un usage excessif et périlleux des avances consenties à un prix exorbitant. Pour nous servir d’un terme nouveau, dont la langue des affaires vient de s’enrichir tristement de l’autre côté du détroit, on s’appliquait à faire financer les entrepreneurs de chemins de fer, chargés d’énormes constructions sans capital souscrit, les spéculateurs hasardeux et les établissemens compromis. On leur imposa les conditions les plus dures. Le taux de l’intérêt allait en grossissant, et il semble singulier qu’au lieu de diriger avec une animosité blessante de vives attaques contre la Banque d’Angleterre à l’occasion des rehaussemens de l’escompte, on ait longtemps négligé de signaler le véritable siège du mal, la concurrence imprévoyante que se faisaient les établissemens de finance

  1. Spéculateurs à la baisse. On appelle bulls (taureaux) les spéculateurs à la hausse.