Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/965

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conduit aujourd’hui qu’à une de ces stations dont s’égayait Dickens sur les lignes du Far-West américain, où le peu de chance de débarquer un voyageur ne se peut comparer qu’à l’improbabilité d’en jamais embarquer aucun. On doit d’ailleurs rendre justice à la bonne foi avec laquelle le gouvernement brésilien a, depuis 1850, concouru à la répression de la traite, et l’on réduira ainsi à sa juste valeur l’anathème banal dont beaucoup de voyageurs croient encore devoir charger cette terre classique de l’esclavage. Longtemps il a semblé impossible, en parlant du Brésil, d’échapper à la tirade obligée sur les tortures et les coups de fouet. Jacquemont lui-même, ce fin observateur, n’y a pas manqué, et après avoir dépeint sous les plus tristes couleurs la société de Rio-Janeiro, « nous verrons donc infailliblement, dit-il, une nouvelle débâcle de républiques dans cette belle partie de l’Amérique méridionale. Elles n’iront pas loin, car la matière première de quelque avenir manque absolument en elles. L’anarchie s’en emparera; bientôt à sa suite viendront les révoltes des noirs, les querelles atroces, l’extermination des blancs peut-être, conséquence forcée de l’émancipation des esclaves. Avec l’esclavage finira le travail; la misère dévorera le reste de la population. » Les années ont marché, et nous savons aujourd’hui combien peu les événemens ont donné raison aux charitables prédictions de Jacquemont. Le Brésil n’accéda à la répression de la traite qu’en 1850, mais il y concourut alors si efficacement que l’on put voir condamner à Bahia, en 1856, un négrier qui, avant d’être pris, avait touché en cinq points de la côte sans réussir à vendre un seul noir. La vérité est que la condition de l’esclave au Brésil est bien plus douce qu’elle ne l’était par exemple aux États-Unis avant la guerre, et cela parce qu’on y a franchement accepté l’esclavage comme un mal destiné à disparaître dans un délai plus ou moins long. En somme, le seul état de l’Amérique du Sud auquel il ait été donné de jouir paisiblement de son indépendance est cet empire du Brésil, dont l’immensité semblait devoir s’opposer à tout établissement d’une monarchie représentative; sa constitution, simple et rationnelle, n’a jamais changé, et il en jouit depuis près d’un demi-siècle. Il est assez étrange qu’il la doive en quelque sorte à l’empereur Napoléon Ier, car ce fut l’approche de nos armées, en 1808, qui, en envoyant à Rio de Janeiro l’antique maison de Bragance, décida de l’avenir du pays.

…… Ami voleur, sans toi ce bien si doux
Me serait inconnu,


eût pu dire alors, non sans raison, au conquérant de l’Europe l’obscur planteur brésilien, dont, par ce coup de fortune inespéré, les