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LE NOUVEAU LOUVRE.

qu’ils abondent en contradictions, tantôt prodiguant sans raison l’espace et la lumière, tantôt s’en montrant avares, et laissant quelquefois l’utilité publique assez problématique pour provoquer des conjectures d’utilité privée ; bien qu’il y ait en un mot dans cette transformation fabuleuse d’une immense cité beaucoup à blâmer sans doute, il y a beaucoup à louer aussi. Ces larges ouvertures, ces trouées, ces raccords, ces vastes débouchés abrégeant les distances, ces créations de quartiers tout entiers subitement sortis de terre, ces arbres, ces jardins, cette eau interrompant et coupant çà et là la série fastidieuse des rues et des maisons, ce sont vraiment des conquêtes. Tout cela, vous l’achetez sans doute au prix de quelque monotonie ; ces boulevards se ressemblent tous ; ces trottoirs, ces candélabres se répètent à satiété ; un je ne sais quoi d’Américain s’est répandu sur notre ville, et néanmoins sans ces travaux que deviendraient les habitans ? C’est par eux qu’ils circulent, c’est par eux qu’ils respirent. Le Paris matériel, l’œuvre de l’ingénieur, a donc fait des progrès qui tiennent du miracle ; mais au milieu de cette vie plus facile, moins heurtée, moins étouffée, que devient l’art ? qu’en a-t-on fait ? C’est ici que nos douleurs se réveillent ! L’art du nouveau Paris ne vaut pas mieux que l’art du nouveau Louvre ; il est peut-être pis encore. Si quelque jour nous prenons le courage d’accomplir la même tâche qu’aujourd’hui, de nous donner le soin pénible d’affliger des hommes de talent en leur disant avec franchise les atteintes aux lois du goût, qu’à notre avis on leur a fait commettre, nous essaierons de parcourir Paris, d’en étudier et les maisons nouvelles et surtout les nombreux monumens éclos depuis quinze années. Là nous serons aux prises avec les mêmes ennemis que dans nos deux palais, avec le même goût de parures inutiles, les mêmes contradictions et le même mélange de luxe et de mesquinerie ; mais nous aurons surtout affaire à un véritable fléau, le défaut d’originalité provoqué et entretenu, selon nous, par une organisation vicieuse du corps des architectes. Soumis à une hiérarchie qui leur interdit le droit d’exécuter leurs propres œuvres, d’en conserver l’honneur et la responsabilité, simples rédacteurs de projets, ou surveillans passifs de projets qu’ils n’ont pas conçus, les architectes de la ville de Paris sont aujourd’hui des ingénieurs. Faut-il donc s’étonner que l’art en leurs mains soit en souffrance ? Il est paralysé dans sa racine même.

N’entamons pas ce sujet aujourd’hui, il demande à lui seul de trop longs commentaires.


L. Vitet.