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JOACHIM DE FLORE
et
L’ÉVANGILE ÉTERNEL [1]

L’idée fondamentale du christianisme naissant fut la foi à l’inauguration prochaine d’un royaume de Dieu qui renouvellerait le monde et y fonderait l’éternelle félicité des saints. Jésus, à plusieurs reprises, déclara que ceux qui l’écoutaient ne goûteraient pas la mort avant d’avoir été témoins de son avènement ; toute la première génération chrétienne croyait à chaque instant voir poindre dans le ciel le grand signe qui devait annoncer la venue du Fils de l’homme ; l’auteur de l’Apocalypse, plus hardi, voulut supputer les jours. Lorsque, le monde s’obstinant à durer, de complaisantes explications eurent ménagé une retraite à ces annonces trop précises, le levain d’espérances infinies qui était au sein de la religion nouvelle ne périt point pour cela. Une famille non interrompue d’enthousiastes, en un sens très vrais disciples de Jésus, se continua de siècle en siècle, annonçant le prochain accomplissement de l’idéal promis. Ce grand instinct d’avenir a été la force du christianisme, le secret de sa jeunesse sans cesse renaissante. Les congrégations

  1. Les recherches qui forment la plus grande partie de ce travail furent faites en 1852, à la demande du vénérable doyen de la Faculté des lettres de Paris, M. Victor Le Clerc. M. Le Clerc, ayant à parler de l’Évangile éternel dans le tome XXIVe de l’Histoire littéraire de la France, désirait connaître ce que le département des manuscrits de la Bibliothèque impériale, auquel j’étais alors attaché, pouvait contenir sur cette obscure question. Quelque temps avant sa mort, mon savant maître me rendit l’étude que je lui avais remise, et m’autorisa à la publier.