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une chose rare de voir des hommes déjà vieux dominés par de toutes jeunes femmes et des adolescens sous le joug de femmes d’un âge mûr. Tel était le double spectacle que donnaient à la cour François Ier et le dauphin. Les deux favorites avaient chacune leur cortège d’artistes et de courtisans. Tandis que le Primatice reproduisait sans cesse dans les décorations des galeries royales les traits de la duchesse d’Étampes, Benvenuto Cellini choisissait pour modèle Diane de Poitiers en Diane chasseresse. Les poètes du parti de la duchesse d’Étampes la célébraient comme la reine de la beauté, et traitaient Diane comme une vieille femme sans cheveux et sans dents, ne devant plus qu’au fard un reste d’éclat trompeur. C’était un as- saut d’invectives, d’épigrammes latines ou françaises, plus exagérées, plus grossières les unes que les autres. Les partisans de Diane se consolaient en se disant que l’avenir était à eux. ils attendaient le nouveau règne.


II.

Dès qu’Henri II monte sur le trône, Diane de Poitiers, malgré ses quarante-huit ans, est autant la maîtresse du royaume que la maîtresse du roi. Elle a tout préparé pour ce moment, qui est le signal de son long triomphe. Sa première pensée est l’abaissement de la favorite déchue. Les funérailles de François Ier sont à peine accomplies qu’un ordre d’exil force la duchesse d’Étampes à se retirer dans son château de Saint-Bris, et que le nouveau roi lui redemande un diamant de cent mille écus, dernier présent de François Ier, sous prétexte que c’était un bien de la couronne. En même temps Diane, créée duchesse de Valentinois, se fait donner des pierreries qui surpassent la valeur de ce diamant. Gratifiée de tous les droits qui se levaient, à chaque changement de règne, pour la confirmation des charges vénales, des immunités de corporations et des autres privilèges, elle fait un de ses affidés trésorier de l’épargne et s’empare de la dispensation des bénéfices ecclésiastiques. Elle obtient pour son gendre, le marquis de Mayenne, de la maison de Guise, toutes les terres vacantes du royaume, don qui dépossède une foule de seigneurs, de communes et de particuliers, et qui engendre une foule de procès, — toute terre occupée sans titre incontestable pouvant être considérée comme vacante. Elle forme avec les Guise et les Montmorency une sorte de ligue. « Il n’y avait, dit le rédacteur des mémoires de Vieilleville, que les portes de Montmorency et de Guise ouvertes pour entrer en crédit. Tout était à leurs neveux ou alliés : maréchaussées, gouvernemens de province, compagnie de gens d’armes, rien ne leur échappait... Il ne leur échappait, non plus qu’aux hirondelles les mouches, état, dignité, évêché, abbaye, office, qui ne fût incontinent englouti, et avaient, pour cet effet, en toutes parties du royaume, gens apostés et serviteurs gagés, pour leur donner avis de tout ce qui mourait parmi les titulaires des charges et bénéfices. »