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Ce que veut la favorite pour elle et pour les siens, c’est l’argent et la domination. Il lui faut à la fois l’apparence et la réalité du pouvoir. Ses devises sont celles de l’ambition et de l’orgueil. C’est une flèche avec cette légende : « elle atteint tout ce qu’elle vise; consequitur quodcunque petit. » C’est un croissant, une lune naissante, avec cette inscription: «jusqu’à ce qu’elle remplisse tout le globe; donec totum impleat orbem. » Les chiffres entrelacés du roi et de sa maîtresse, le croissant symbolique, décorent les murs des châteaux et les dômes des palais. La beauté de Diane est en apport avec son rôle. C’est une beauté dominatrice, aux lignes sculpturales, à respect fier, imposant, presque dur, une beauté dont le principal caractère est la force. Amazone intrépide, elle pourrait porter une armure. Quel est son secret pour conserver à cinquante ans le prestige et l’éclat de la jeunesse? « Beau secret, dit M. Michelet, et pourtant on peut en donner la recette : ne s’émouvoir de rien, n’aimer rien, ne compatir à rien. Des passions, en garder seulement ce qui donne un peu de cours au sang, des plaisirs sans orages, l’amour du gain et la chasse à l’argent. »

En voyant le jeune roi dominé par la vieille enchanteresse, comme Roger charmé par Alcine, les contemporains croient à un ensorcellement, à un pouvoir magique, à une bague enchantée. Cette puissance qui d’abord semble surnaturelle, c’est la volonté. Diane ne veut pas vieillir, et elle ne vieillit pas. Sa fontaine de Jouvence, c’est l’eau glacée dans laquelle elle se plonge en toute saison. Debout à l’aurore, elle s’élance à cheval dans les forêts, elle chasse deux ou trois heures le cerf ou le sanglier. Ses habitudes actives et matinales lui donnent une vigueur incroyable; jamais on ne surprend en elle un moment de défaillance. Elle se fait l’intendante des « passe-temps » du roi. elle renouvelle sans cesse l’atmosphère des plaisirs et des fêtes, elle veut faire de la vie un printemps éternel. Les peintres et les sculpteurs multiplient partout son image sous les traits d’une déesse. De fresque en fresque, de groupe en groupe, elle reparaît toujours éblouissante d’orgueil et de lumière. Il faut tenir le faible monarque sous le charme d’une perpétuelle vision; il faut, à force d’art et de prestiges, parvenir à réparer l’irréparable outrage des ans; il faut persuader à un prince tout ému des romans de chevalerie qu’il est le plus heureux comme le plus fidèle des amans; il faut enivrer le monarque de l’encens qu’on brûle aux pieds de son idole. On l’enferme, comme en un sanctuaire, dans ce merveilleux château d’Anet, aux statues innombrables, aux élégans portiques, aux horizons faits à souhait pour le plaisir des yeux. Dans ces bosquets de roses, dans ces plaines verdoyantes, dans ces forêts profondes et giboyeuses, le roi mène une existence féerique. Diane apparaît comme une divinité, à l’ombre des bois, avec son arc d’argent, tandis que les échos sont réjouis par le son du cor, que la meute rapide se glisse dans les éclaircies des feuillages. Sur le portail du château sont agencées des figures de bronze