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état, le gaz n’avait point eu de travail extérieur à faire, et M. Joule montrait que la température du système était la même au commencement et à la fin de l’expérience. Sans doute il y avait eu à certains momens des mouvemens de température ; mais les pertes et les gains partiels se compensaient, et en dernière analyse l’absence de travail était marquée par une absence de variation dans la température. L’expérience de M. Joule demande un haut degré de précision, et n’est point de nature à être reproduite dans une leçon de physique. M. Tyndall, dans son cours à l’Institution royale, en montre le résultat à l’aide d’instrumens commodes et familiers. Il prend d’abord une boîte où une certaine quantité d’air est comprimée, et il en ouvre le robinet pour permettre au gaz de s’échapper. Ici le gaz ne trouve plus le vide devant lui ; il doit pour se détendre chasser l’air extérieur ; il doit produire un travail, et ce n’est qu’en lui-même qu’il peut prendre la chaleur nécessaire à cet effet : il y a donc refroidissement, et M. Tyndall rend ce résultat visible en dirigeant le jet sur la face d’une pile thermo-électrique très sensible[1] ; l’aiguille du galvanomètre accuse le refroidissement du jet gazeux. Au lieu de la boîte à air comprimé, M. Tyndall prend ensuite un vulgaire soufflet, et, le faisant agir, il en dirige le jet sur la face de la pile. Ici le gaz n’a plus à céder lui-même la chaleur nécessaire pour refouler l’air extérieur ; la main de l’opérateur fournit directement le travail ; elle le fournit même en excès, et l’aiguille du galvanomètre, au lieu d’accuser un refroidissement, signale une élévation de température.

La théorie de la chaleur se complète tous les jours, mais elle est dès maintenant assez avancée pour offrir un ensemble imposant. Si elle présente encore des lacunes, des incertitudes, du moins les lignes principales en sont nettement arrêtées. Les mouvemens moléculaires qui constituent la chaleur ne sont pas directement perceptibles à nos sens, mais on peut dire qu’il s’en faut de bien peu. On les voit presque eux-mêmes, tant leurs effets mécaniques sont maintenant connus et précisés ! Quand la force vive passe des molécules à la masse d’un corps et revient de cette masse aux molécules, apparaissant ainsi successivement sous la forme de travail ou sous la forme de chaleur, on n’assiste pas, à vrai dire, à ces changemens ; mais on détermine si bien les phénomènes un peu avant et un peu après la transformation, qu’on croit la voir elle-même. La thermodynamique est un champ suffisamment exploré où les erreurs de route ne sont pas graves, où l’on est sûr, si l’on

  1. M. Tyndall a des piles thermo-électriques si sensibles que, maintenues à une température de 10 ou 15 degrés environ, elles accusent à une distance de vingt pas la chaleur que dégage le corps d’un homme.