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ne savons en vérité si nous devons féliciter nos deux premières scènes françaises de succès obtenus à si bon marché, ou les plaindre d’être réduites aux applaudissemens d’un public qui semble résigné désormais à tout accepter sans discussion. A l’Odéon, notre studieuse jeunesse, qu’on ne voit jamais marchander son enthousiasme à qui la prend par les beaux sentimens et les maximes héroïques exprimées en vers sonores, a prodigué à la Conjuration d’Amboise des acclamations bruyantes qui n’ont pu dissimuler pendant trois soirées le grave défaut de cette pièce, l’ennui. Quant au Théâtre-Français, qui donc s’était avisé de dire que le Fils n’avait pas réussi ? Il est bien vrai qu’à la première représentation il s’est élevé certaines protestations, promptement étouffées par le bataillon des lansquenets du lustre, auxquels s’était jointe une vaillante troupe de volontaires ; mais après cette démonstration hardie le public est revenu dès le second soir à cette sagesse pratique, je veux dire à cet imperturbable respect de la médiocrité, dont tout aujourd’hui conspire à lui faire prendre l’habitude. On ne peut nier que la pièce de M. Vacquerie n’inflige au bon sens de sévères épreuves ; malheureusement tant d’auteurs ont pris soin, depuis quelques années, de l’aguerrir contre l’absurde, qu’il est maintenant à peu près invulnérable aux surprises des inventions les plus puériles, et qu’il est de moins en moins porté à se révolter ou même à s’étonner de quelque chose. Il ne nous appartient pas de contester au public le droit de s’amuser où il veut, et nous n’aurions garde d’appeler de la souveraineté de ces décisions, si nous ne savions qu’il y a public et public. Nous n’ignorons pas d’ailleurs qu’il entre parfois dans ces applaudissemens faciles plus de fatigue que d’illusion, et que l’indulgence dont nous nous plaignons procède chez plusieurs d’une attente découragée.

Le talent convaincu de M. L. Bouilhet est de ceux dont nous faisons cas. Aussi étions-nous fort disposé à lui savoir gré de nous dépayser un peu en nous dérobant aux prétendues peintures des mœurs contemporaines, qui, Dieu merci, nous sont assez connues. Il y a quelque courage à oser, par ce temps d’infatuation, revenir aux grandes journées de notre histoire, les seules qui comportent une certaine poésie. De plus M. Bouilhet s’obstine noblement, sous l’empire croissant de la prose, à parler cette langue des vers qui garde, comme un élixir magique, la pensée de se vulgariser et de vieillir. Ce sont là des titres sérieux dont il convenait de lui tenir compte ; mais comment se défendre d’une déception pénible en retrouvant toujours chez M. Bouilhet cet art de seconde main dont nous commençons à craindre qu’il ne se débarrasse jamais ? Comment ne pas regretter que sous ces vers retentissans, frappés à une effigie d’emprunt, ne perce encore nulle qualité forte qui rachète les inconvéniens d’une imitation écolière ? Si des sentimens irréprochables, une action généralement conforme aux données de l’histoire et des personnages qui conservent leur physionomie traditionnelle, suffisaient, avec l’éclat continu d’une forme trop habile, à faire une bonne pièce, il n’y aurait rien à dire ; mais il n’en est pas ainsi, et le drame