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cherche d’un mari. N’a-t-elle donc pas de famille, point de surveillans à qui elle doive compte de ses actions ? D’où lui viennent ses distractions et son air d’indifférence ? Ce séjour en Italie, est-ce un temps de repos nécessaire à la guérison de quelque blessure, ou bien un rendez-vous donné à longue échéance ?

— Vous m’y faites songer, répondit don Alvise, il y a là-dessous quelque mystère.

— Notre amie attend, reprit Pilowitz.

— Je le crois comme vous.

— Mais qu’est-ce qu’elle attend ?

— Voilà ce qu’il faudrait savoir, répondit don Alvise.

— La dame de compagnie vous aime furieusement ; elle a dû vous faire des confidences ?

— Des confidences qui vous intéresseront, j’en suis sûr.

— Contez-moi cela, dit Pilowitz.

— Volontiers. Mistress Hobbes est une personne de grand mérite, comme vous savez. Imaginez-vous qu’elle a éprouvé des revers de fortune effroyables…

— Si vous m’en croyez, interrompit le capitaine, nous remettrons à demain l’histoire de la gouvernante. Dites-moi plutôt le secret de miss Martha.

Magari ! s’écria don Alvise ; je voudrais bien connaître son secret[1].

Pour la première fois de sa vie, le seigneur Centoni venait de répondre d’une manière évasive et dissimulée. Pour la première fois, il venait de mettre un frein à son incontinence de langue et d’appeler à son aide la dose naturelle de ruse que tout bon Italien, même le plus naïf, recèle au fond de son âme. Sur le terrain où la lutte s’engageait, Pilowitz ne pouvait manquer d’être battu. Il suffisait pour le comprendre de comparer la face large et le nez rond du Hongrois aux traits aquilins du Vénète. Le capitaine ne put obtenir d’autre communication que le récit des malheurs de mistress Hobbes. — Mon cher seigneur, dit-il à don Alvise au moment de le quitter, vous épouseriez une princesse, si vous pouviez vous résoudre à lui consacrer les soins que vous prodiguez à des subalternes.

— Peut-être, répondit Centoni ; mais la princesse n’a que faire de mes soins et ne s’en soucie pas, tandis que les subalternes ont besoin de mes services. Les petites gens et les petites choses sont assez grandes pour moi. L’essentiel est de s’occuper et de ne pas mourir sans avoir fait un peu de bien.

  1. Magari est une exclamation populaire du dialecte vénitien, dont le sens varie entre non et plût au ciel !