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— Vous oubliez un mot, reprit Pilowitz ; il faut encore aimer quelqu’un.

— Cher capitaine, cela viendra, s’il plaît à Dieu, car l’amour vient de Dieu et à Dieu retourne.

Don Alvise rentra chez lui si étonné de sa finesse et de sa discrétion, qu’en se mettant au lit il crut devoir procéder à un examen de conscience qui ne lui apprit rien, et pendant lequel il s’endormit profondément.

Souvent les deux dames étrangères parcouraient les boutiques établies sur le pont du Rialto, où se trouvent les meilleurs orfèvres de Venise. Un jour, miss Martha voulut passer derrière ces boutiques pour regarder les magnifiques façades des palais qui bordent les deux rives du Grand-Canal. Du haut du pont, mistress Hobbes lut cette inscription : Riva-del-Carbon. — C’est ici que demeure le signor Centoni, dit-elle. Si nous allions frapper à sa porte, je suis sûre que notre visite le comblerait de joie.

Miss Lovel, qui se sentait en belle humeur, accepta la proposition. — Ce devait être une chose curieuse que l’intérieur d’un don Fa-tutto. En y arrivant à l’improviste, on pouvait espérer de surprendre le maître du logis dans l’exercice de ses manies. Les deux étrangères descendirent du pont sur la rive. Un gondolier leur indiqua la maison du seigneur Centoni et l’étage qu’il habitait, car à Venise on ne trouve de concierge que dans les palais des hauts fonctionnaires. Au fond d’une galerie lambrissée en vieux chêne, avec des restes de dorures aux corniches, miss Martha vit une porte garnie de bourrelets, chose rare en Italie. La carte de visite de don Alvise était fixée au-dessus de la serrure. Au bruit de la sonnette répondit une voix d’homme qui appelait Teresa ! De son côté, la servante criait : Vegno, vegno ; mais, comme elle ne venait pas, le patron finit par ouvrir lui-même. Mistress Hobbes ne s’était pas trompée : Centoni poussa un cri de joie en la voyant, et lui pressa les mains avec émotion. Que de gens, disait-il, allaient lui porter envie ! Pour lui, le jour marqué par une si grande faveur était trois fois heureux, et le souvenir lui en devait rester gravé dans le cœur jusqu’au dernier souffle de sa vie. Quand il eut offert ses meilleurs fauteuils, il courut à l’office chercher des gâteaux et du raisin. Les deux dames eurent beau s’en défendre, il leur fallut accepter cette collation, servie sur un guéridon. — Goûtez ces fruits, disait don Alvise ; ils ne viennent pas du marché de l’Herberie. On mêles envoie de la campagne, et jamais ils n’auront si belle occasion de se faire manger.

Tout en goûtant le raisin, miss Lovel promenait ses regards autour d’elle. L’appartement, garni de vieux meubles, lui parut comfortable et entretenu avec soin. Elle remarqua sur le bureau de