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Dès que nous arrivons au règne de Louis XV, il n’en est plus ainsi, on sait positivement à quoi s’en tenir, et l’on peut même reconstituer assez facilement le mode de procéder. Ce fut ce prince en effet qui organisa le premier et d’une façon régulière « le cabinet du secret des postes. » Ses prédécesseurs ne s’étaient point fait faute de prendre copie des dépêches qu’il leur importait de connaître; mais c’est à lui que remonte le triste honneur d’avoir définitivement réglé cette étrange administration. Elle avait pour but de découvrir les secrets de la vie privée, et il ne faut pas la confondre avec l’agence politique destinée à percer les mystères de la diplomatie, et qui eut pour directeurs dans ce temps-là le prince de Conti et le comte de Broglie. Dans ses curieux mémoires. Mme du Hausset, femme de chambre de la marquise de Pompadour, raconte naïvement ce qu’elle a vu elle-même. Son témoignage est important. « Le roi avait fait communiquer à M. de Choiseul le secret de la poste, c’est-à-dire l’extrait des lettres qu’on ouvrait, ce que n’avait pas eu M. d’Argenson malgré toute sa faveur. J’ai entendu dire que M. de Choiseul en abusait, et racontait à ses amis les histoires plaisantes, les intrigues amoureuses que contenaient souvent les lettres qu’on décachetait. La méthode, à ce que j’ai entendu dire, était fort simple : six ou sept commis de l’hôtel des postes tiraient les lettres qu’il leur était prescrit de décacheter, et prenaient l’empreinte du cachet avec une boule de mercure; ensuite on mettait la lettre, du côté du cachet, sur un gobelet d’eau chaude, qui faisait fondre la cire sans rien gâter: on l’ouvrait, on en faisait l’extrait, et ensuite on la recachetait au moyen de l’empreinte. Voilà comme j’ai entendu la chose. L’intendant des postes apportait les extraits au roi le dimanche. On le voyait entrer et passer comme les ministres pour ce redoutable travail[1]. » Ces renseignemens sont inexacts, mais ils sont précieux, car ils mettent sur la voie de la vérité. La vapeur d’eau bouillante ne peut amollir que la cire animale et non point la cire-résine qu’on emploie pour sceller les lettres; ce procédé est bon pour décoller sans lacération les pains à cacheter. — Quant à prendre une empreinte avec du mercure, cela est absolument impossible, à moins qu’on n’arrive à le congeler en abaissant subitement la température à 40 degrés au-dessous de zéro; mais en combinant du mercure et de l’argent on obtient un amalgame très malléable, qui durcit rapidement, conserve nettes les arêtes d’une empreinte et peut parfaitement servir de sceau pour rétablir un cachet. La découverte de nouveaux métaux a singulièrement amélioré ces procédés primitifs, et l’on pourrait aujourd’hui, si on y avait inté-

  1. Mémoires de Mme du Hausset, éd. Barrière, p. 33 et suiv.