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liberté. Telle nation qui parle des Grecs avec dédain devrait rougir devant eux en méditant cet exemple.

Au lieu de maltraiter la Grèce, il serait donc sage de l’encourager, de la protéger, de l’agrandir et de lui montrer surtout cette vertu éminemment paternelle qui est la patience. Il faut trente ans pour faire un homme : n’accordera-t-on pas plus de temps à l’éducation d’un peuple? Notre civilisation nous a coûté quinze siècles d’efforts, à nous qui héritions des Romains : ne donnerons-nous pas au moins un siècle à une nation qui sort des mains des Turcs? Je ne fais appel ni aux sentimens, ni à l’imagination poétique, ni aux souvenirs classiques, ni même à la justice de ceux qui gouvernent le monde; tout cela est tellement suranné que mon appel serait ridicule. Je leur montre les seules divinités qu’ils reconnaissent, l’intérêt et le fait accompli. L’affranchissement et l’accroissement de la Grèce sont des faits accomplis. Ce doigt de la fatalité, devant lequel on s’incline si vite, désigne aux Grecs Constantinople comme une proie dévolue. Ils seront un jour les gardiens du Bosphore au nom de ce principe des nationalités que notre politique remet en honneur chaque fois qu’elle y trouve quelque avantage. Notre intérêt est donc de ne pas rejeter sans cesse dans les pièges de la Russie une race que son passé, ses instincts, son éducation, ses institutions, son commerce, poussent vers nous. Notre intérêt est de les faire rentrer dans la grande famille européenne dont ils sont les premiers-nés. De même que leurs ancêtres ont refoulé les invasions des Scythes et des hordes qui erraient autour de la Mer-Noire, de même ils opposeront aux conquêtes de la Russie une digue derrière laquelle l’Europe montrera ses armes avec l’autorité et la confiance qu’inspire aujourd’hui aux Russes leur croisade contre les musulmans.

Nos petits-fils verront peut-être la question d’Orient résolue par un démembrement successif, conforme à la géographie, à l’histoire, à l’affinité des races, à leur culture, à leur religion. C’est la prévision la plus sage, si les fautes et la mollesse des puissances occidentales ne trahissent point ces nations qui se détachent du joug commun pour se reconstituer. Elles formeront alors contre la Russie une série de remparts homogènes. Le premier sera le Danube jusqu’à son embouchure; la population roumaine, vaillante et fortifiée par l’agriculture, pourra mettre en ligne cent cinquante mille soldats. Le second sera la Grèce, étendue jusqu’à la chaîne des Balkans, comprenant la Macédoine et la Thrace, régnant sur le Bosphore et sur la mer Egée, comptant dix millions d’habitans, qui fourniront sans effort une armée de deux cent mille hommes et quarante mille marins. Le troisième sera l’Asie-Mineure, occupée