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dans les traits qui reviennent le plus souvent et qui naturellement sont les principaux. Ainsi, pour rester dans votre proposition, si j’ai à rendre un sujet barbare, je m’attacherai à ce que mes idées aient la couleur du sujet, à ce que le barbare y prédomine; mais tenez bien que pour cela je ne renonce point à des effets d’un genre tout opposé : mon héros par exemple aimera, et, si barbare qu’il puisse être, il faudra bien qu’il s’attendrisse au regard de son amoureuse. Il va sans dire qu’un tel homme devra, même en ses abandons les plus doux, conserver quelque chose de sa rudesse. Il dira « je vous aime » tout autrement que vous et moi. J’aurai donc à faire intervenir plus ou moins dans toutes les situations auxquelles il prendra part les effets de sonorité qui le caractérisent. C’est ce que j’appelle maintenir dans un opéra le lien dramatique, l’unité de ton, qu’il ne faut pas confondre avec la monotonie.

Weber se tut. Son visiteur était resté sous le charme, et, pensant au Freischütz, admirait avec quel art le musicien de génie avait su mettre en pratique la théorie de l’esthéticien. Il lui semblait maintenant mieux comprendre; il eût voulu pouvoir amener, fixer l’entretien sur ce point, la crainte d’être importun le retenait. Il n’osait davantage interroger de peur de fatiguer le cher malade. Weber alla de lui-même au-devant du souhait inexprimé, et presque aussitôt il reprit :

— Dans le Freischütz, deux élémens sont en présence : la vie de chasse et l’action de puissances démoniaques que Samiel personnifie. J’avais donc tout d’abord à m’occuper des sonorités caractéristiques de ces deux élémens. Ces couleurs tonales, si je puis ainsi parler, il s’agissait en premier lieu de les trouver, ensuite d’en répartir la distribution au profit de l’effet général, qui, bien autrement que les indications çà et là fournies par le poète, sollicitait mon attention. Pour peindre la vie forestière, la vie de chasse, cette couleur tonale était aisée à découvrir; les cors me la livraient. Restait à inventer pour les cors des mélodies qui fussent neuves, à faire du simple, du populaire. J’interrogeai les sources, m’y plongeai jusqu’au cou, et si cette partie de mon ouvrage a quelque mérite, c’est à cette étude que je le dois. Comme vous l’avez remarqué, je ne me suis point fait faute d’utiliser mes documens, prenant mon bien partout où je le trouvais, ne dédaignant aucun butin, pas même l’air de Marlborough, dont vous n’êtes point sans avoir dépisté la seconde partie, insidieusement cachée au fond du dernier chœur de chasseurs.

— Ces mélodies de cor, ainsi répandues dans tous les coins et se rapportant au caractère général de l’ouvrage, devaient en effet