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vivement impressionner le public. Où les cors ne figurent-ils pas? Je les trouve dans l’adagio de l’ouverture, dans le grand trio avec chœurs du premier acte, dans le second finale et dans le troisième acte à chaque instant.

— Oui certes, continua Weber, et, si j’eusse obéi à ma seule impulsion, je les aurais mis partout où Max et Gaspar se montrent, mais j’ai craint d’abuser à la fin d’un tel moyen, d’autant plus que le sujet du Freischütz n’est point là tout entier. Le désespoir de Max dans son air ouvre à l’œil un autre horizon. « Les esprits de ténèbres m’envahissent! » s’écrie-t-il. Ces mots résument l’opéra, et ma tâche était de ne pas perdre un moment de vue ces « esprits de ténèbres, » de multiplier au contraire les allusions dans mon orchestre et ma mélodie, ce que j’ai fait non-seulement chaque fois que le poème m’y conviait, mais alors que la situation dramatique ne le réclamait pas immédiatement, m’efforçant de rappeler par des bruits, des images, que les puissances infernales sont en jeu.

— Et diablement la combinaison vous a réussi, ajouta l’interlocuteur; je ne crois pas que jamais l’épouvante d’un monde surnaturel puisse être poussée plus loin.

Weber sourit avec satisfaction et répliqua :

— J’ai longtemps et beaucoup réfléchi aux conditions de sonorité nécessaires pour produire les effets sinistres. Les couleurs sombres, comme bien vous pensez, ne manquaient pas. Il ne s’agissait que de les amalgamer. Les violons, les violes et les basses m’offraient leurs résonnances graves, la clarinette ses notes lugubres; j’avais la plainte des bassons, la voix profonde des cuivres, les timbales à l’aigu ou leurs roulemens sourds. Si vous prenez la peine de feuilleter la partition, vous verrez que cette couleur sombre y prédomine de manière à caractériser l’ouvrage, mais non sans permettre à certains tons plus gais, à certains rayons de lumière, de percer à travers les ténèbres comme dans ces intérieurs de Rembrandt. Et l’ouverture en ce sens me tient particulièrement à cœur; quelqu’un qui sait l’entendre a tout de suite le Freischütz en abrégé. C’est mon opéra tout entier in nuce.

— C’est tellement vrai, ce que vous dites-Là, qu’on pourrait vous en raconter le scenario note par note. D’abord une période d’introduction où dans les deux premières mesures le règne infernal trahit sa présence, tandis que les deux suivantes nous parlent d’angoisses et de pressentimens. Diablerie et pressentimens se confondent dans la phrase prochaine, puis le cor élève sa mélodie, c’est la vie des bois qui se révèle. Plus loin, sur un motif de l’air de Max et pendant que les violoncelles sont à décrire je ne sais quels égaremens de l’âme, paraît Samiel. « Les esprits de ténèbres m’en-