Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hausser hausser la splendeur de son triomphe, lui apparaissait maintenant comme à peu près indispensable. Pour distraire efficacement tous les esprits, pour arrêter court les paroles que tout le monde avait au bord des lèvres, quoique personne n’osât les prononcer, pour laver la tache imprimée à son front par le sang d’un jeune prince, il ne fallait rien moins que l’onction d’un pape. Quand Pie VII lui-même l’aurait sacré, qui donc oserait lui jeter à la tête le nom du duc d’Enghien?


II.

Ce fut dans cette disposition d’esprit, l’air altier et soucieux, que, laissant de côté les tournures familières qui lui étaient habituelles avec le cardinal-légat, en paroles solennelles et brèves, du ton d’un homme mécontent des autres et surtout de lui-même. Napoléon s’ouvrit pour la première fois à Caprara, le 9 mai 1804, de la demande qu’il comptait adresser prochainement au saint-père. A cette date, non-seulement il n’était pas encore question de consulter la nation sur le grand acte qui allait faire d’un général de la république un monarque héréditaire, mais le sénatus-consulte qui devait lui conférer le litre d’empereur n’était ni voté par le sénat ni même définitivement arrêté; il ne le fut que le 16. Cependant la détermination de Napoléon était prise. Cela seul suffisait, et le surplus n’était à ses yeux, comme pour tout le monde, qu’une assez vaine formalité. Le soir donc, le légat se trouvant à Saint-Cloud dans les salons de Joséphine, Napoléon lui dit : « Toutes les autorités constituées me font sentir combien il serait glorieux que mon sacre et mon couronnement fussent faits par les mains du pape, et quel bien il en résulterait en même temps pour la religion. Il n’est pas vraisemblable qu’aucune puissance y trouve à redire ni en droit, m en fait. Je n’adresse pas dès à présent une prière formelle au pape parce que je ne veux pas m’exposer à un refus. Faites donc l’ouverture, et lorsque vous m’aurez transmis la réponse, je ferai auprès du pape, comme je le dois, les démarches nécessaires[1]. » Puis, dans un résumé qui frappa de plus en plus par sa précision et sa froideur le représentant du saint-siège, il lui énuméra ses titres à la bienveillance personnelle de Pie VII et cita en finissant l’exemple de Pépin sacré par le pape Zacharie. Il n’y avait d’absolument inattendu pour le cardinal dans cette confidence que la solennité de l’accent de son interlocuteur. Souvent le légat avait entretenu le Vatican des services rendus par le premier consul à la religion. Des premiers et plus que personne, il avait donné cours aux souve-

  1. Dépêche du cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 10 mai 1803.