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non-seulement aux personnes, mais à la chose, c’est-à-dire à tous les cultes. Or un catholique ne peut protéger l’erreur des faux cultes[1]. Votre éminence, s’empresse d’ajouter le secrétaire d’état dans une lettre particulière adressée le lendemain au cardinal Caprara, insistera surtout sur ce que cette difficulté est toute spirituelle et qu’elle a surgi alors qu’on avait sauté par-dessus toutes les autres... Le défaut seul de temps m’empêche d’exposer quelques-unes des raisons pour lesquelles sa sainteté, tenant pour coupable le serment à prêter par l’empereur des Français, croit ne pouvoir condescendre à couronner ce monarque[2]. »

Il est plus facile de s’imaginer que de dépeindre la consternation du malheureux légat, lorsqu’il reçut de Rome une réponse si différente de celle qu’il en attendait. Son embarras était d’autant plus grand qu’il avait laissé concevoir autour de lui, dans le monde officiel, qu’il fréquentait exclusivement, toutes les espérances dont il s’était bercé lui-même. « Ce même jour (20 juin 1804), j’ai passé la soirée à Saint-Cloud dans l’appartement de sa majesté l’impératrice, qui longtemps après mon arrivée et après les complimens obligés daigna s’approcher de moi et me dit de la façon la plus gracieuse : « Eh bien ! nous aurons le saint-père à Paris pour sacrer l’empereur mon mari. » À cette assertion, fondée naturellement sur la connaissance de la dépêche du cardinal Fesch, je ne saurais dire si je pâlis ou si je rougis. A la vue de mon embarras, l’impératrice reprit : « Nous savons que les choses sont arrangées... Du reste votre discrétion mérite l’estime, et je ne puis désapprouver votre silence[3]. » Joséphine avait peut-être parlé par étourderie ou par une sincère ignorance du véritable état des choses. Il est naturel de penser qu’il entrait un peu plus de calcul dans les paroles de M. de Talleyrand, lorsque, le même soir, voyant venir à lui le représentant du saint-siège, il s’écria tout haut : « Ah! les choses sont enfin arrangées; le pape viendra couronner l’empereur, » Ce fut avec une grande timidité, à demi-mots, comme avec l’impératrice, que le cardinal se mit à expliquer qu’il y avait plusieurs points à concilier avant de pouvoir rien affirmer positivement ; mais le ministre, l’interrompant, se mit à parler d’autre chose. Ce qui trouble davantage encore le légat, c’est qu’il n’a pu, ni ce jour-là ni les suivans, aborder l’empereur. Napoléon témoigne manifestement qu’il ne se soucie point de parler d’affaires avec lui. Cette dernière circonstance jette le cardinal dans les plus pénibles per-

  1. Le cardinal Consalvi au cardinal Caprara, dépêche chiffrée du 5 juin 1804.
  2. Le cardinal Consalvi au cardinal Caprara, note n° 2 jointe à la dépêche du 6 juin 1804.
  3. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 23 juin 1804.