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personnellement, sans distinction de sang ni de rang. Dès lors tous font effort, les uns pour conserver, les autres pour acquérir, ceux-ci pour s’élever, ceux-là pour ne point déchoir, et de cette concurrence est sortie la société telle que nous la voyons, où le travail s’impose à chacun, non plus seulement comme une loi morale, mais encore comme un intérêt suprême qui domine les plus hautaines destinées.

Il est donc bien entendu que l’effort, à quelque objet qu’il s’applique dans le domaine des opérations moralement licites, et quelque forme qu’il emprunte, constitue le travail. En outre toutes les branches de travail sont unies par les liens de la plus étroite solidarité. De même que dans une exploitation industrielle les bras ne suffiraient point pour créer, si l’intelligence n’apportait pas de son côté le contingent de sa force productive, de même dans l’organisme social le mouvement et la vie s’arrêteraient, si les efforts corporels n’avaient point pour auxiliaire ou plutôt pour guide l’élément supérieur qui réside dans l’intelligence. Les professions les plus opposées concourent au même but ; chacune d’elles en remplissant sa fonction particulière contribue à la prospérité générale. Les sociétés ne peuvent pas plus se passer d’architectes que de maçons, de savans que d’agriculteurs ; les prêtres y ont leur rôle comme les médecins ; les poètes, les philosophes et même les économistes n’y sont point de trop. Non-seulement il y a place pour tous, mais encore la place que ces travailleurs de catégories si diverses occupent dans la société ne pourrait pas impunément rester vide. La solidarité est ainsi universelle et absolue ; elle apparaît aussi claire que la lumière du jour ; elle est démontrée par l’économie politique et par la morale, et elle s’affirme continuellement par l’échange incessant qui s’opère entre les produits matériels ou immatériels de toutes les professions.

Si les différens genres de travail sont incontestablement solidaires les uns des autres, ils sont loin d’avoir tous le même degré d’utilité ou le même mérite. Il existe entre eux une hiérarchie qui se fonde sur les services qu’ils rendent à la société en général et sur les aptitudes plus ou moins rares et difficiles qu’ils exigent. De même entre les travailleurs qui se livrent à une profession spéciale il y a des différences de force, d’instruction, d’habileté, par suite desquelles les produits de l’un sont inférieurs ou supérieurs à ceux de l’autre. En un mot, l’inégalité règne nécessairement dans le champ du travail ; il faut l’accepter comme un fait naturel et rationnel. On peut l’atténuer dans une certaine mesure et la rendre moins douloureuse pour ceux qui en souffrent ; mais on n’est point encore parvenu et l’on ne parviendra jamais à la supprimer.