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Ainsi extension de plus en plus grande et aujourd’hui presque universelle de la loi du travail, solidarité entre les différentes catégories de travailleurs, inégalité du mérite individuel et des services rendus, voilà trois principes que l’on ne saurait trop s’attacher, à mettre en lumière, car ils tendent à dissiper les préjugés populaires sur l’apparente oisiveté d’une partie considérable du corps social et sur la prétendue séparation des castes ; ils réfutent ce qui a été dit et écrit en faveur de l’égalité des salaires, égalité qui est aussi impossible à réaliser qu’elle serait injuste. Dès que l’on est d’accord sur ces trois points, les débats qui intéressent les populations ouvrières cessent d’être obscurcis par les déclamations toujours stériles et souvent dangereuses qui passionnent les esprits au lieu de les éclairer. Il ne s’agit plus dès lors que de rechercher la meilleure application des principes en étudiant non-seulement les lois existantes, mais encore les réformes et les innovations proposées dans l’intérêt du travail. Ainsi ramenée à ses proportions vraiment pratiques, la tâche n’en est pas moins ardue, et, pour être limitée, la difficulté du problème économique et social subsiste tout entière.

Parmi les divers modes de travail, le travail manuel est celui qui excite le plus de sollicitude, parce qu’il est le partage du plus grand nombre. Retracer son histoire, montrer comment, après avoir secoué l’antique servitude, il a traversé humblement le moyen âge pour se relever libre, en France du moins, à la fin du XVIIIe siècle, indiquer sa situation présente sous un régime de liberté civile et d’égalité dont il ne recueillerait pas encore tous les bénéfices, telle a été la pensée de M. Jules Simon. L’histoire du travail se lie intimement à celle des révolutions politiques et sociales qui ont remué les générations. C’est avec raison que l’éminent écrivain lui à consacré tout un chapitre qui mérite l’attention sérieuse de la critique.

Dans l’antiquité, la main-d’œuvre était esclave ; l’effort des bras dénotait une condition servile. Sous l’empire romain, les esclaves, devenus moins nombreux, ne suffisaient plus pour l’exercice des professions qu’avait multipliées le progrès de la civilisation et du luxe ; à côté des esclaves, il y eut une population d’ouvriers libres ; mais ceux-ci étaient parqués dans l’enceinte infranchissable des corporations à ce point que l’état de liberté n’était pour eux qu’une forme nouvelle et perfectionnée de la servitude. Que l’on relise au surplus les écrits qui nous viennent de la Grèce et de Rome ; l’artisan et l’ouvrier n’y apparaissent qu’au dernier plan et tout à fait relégués dans l’ombre ; on s’occupe d’eux beaucoup moins que de l’esclave et de l’affranchi ; ils ne comptent ni comme individus ni comme classe. Le travail manuel est dédaigné et méprisé. La vertu morale de l’effort qui fait mouvoir les bras robustes et honnêtes