Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/744

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bientôt les événemens de 1815 ayant appelé M. Royer-Collard au gouvernement de l’instruction publique, M. Cousin passa de l’École normale à la Faculté des lettres, qui résidait alors non pas à la Sorbonne, mais rue Saint-Jacques, dans les anciens bâtimens, détruits aujourd’hui, du collège du Plessis, attenant au lycée Louis-le-Grand, bâtimens qui furent depuis consacrés à l’École normale avant la construction de l’école actuelle. Ce fut là, dans les murs d’une vieille chapelle ruinée, que M. Cousin commença, avec un succès qui dès le premier jour fut éclatant, sa carrière de professeur public de philosophie.

Si nous en croyons la tradition, M. Cousin a été le plus grand professeur qu’ait connu la France, au moins si l’on prend pour mesure du génie dans l’enseignement la grandeur de l’éloquence. La puissance de sa parole, de son geste et de son regard était telle, que les auditeurs en étaient fascinés ; il y avait en lui, nous dit-on, quelque chose du prophète, et si son bon sens et sa finesse naturelle n’eussent fait contre-poids aux entraînemens de sa fougue et de son ardeur, il n’eût tenu qu’à lui, dans ce temps où tant d’esprits étaient en quête d’une religion nouvelle, de s’en faire le grand-prêtre, comme quelques-uns de ses contemporains. L’école idéologique, habituée, à la langue abstraite et à la méthode algébrique de Condillac, ne comprenait rien à cette parole enthousiaste et enflammée. En même temps, par un contraste d’humeur qui s’est toujours rencontré dans cette nature complexe, il s’appliquait à lutter contre les matières les plus arides et les plus abstraites : c’est ainsi qu’il exposait le premier devant un public français la profonde et abstraite philosophie de Kant, et qu’il engageait un combat corps à corps avec la sérieuse et froide philosophie de Locke, si peu faite pour provoquer l’éloquence. C’est que, malgré l’enivrement de la parole, M. Cousin n’a jamais perdu de vue le grand dessein de fonder une philosophie nouvelle sur les ruines de l’idéologie sensualiste, en faisant alliance avec la nouvelle philosophie allemande, alors si peu connue parmi nous.

Je n’entrerai pas dans le détail des cours que fit M. Cousin à la Faculté des lettres dans son double enseignement ; mais comment ne pas rappeler ce cours mémorable de 1828, qui est une des dates les plus éclatantes de la littérature et même de l’histoire de notre temps ? Depuis huit ans, M. Cousin ainsi que M. Guizot avaient été réduits au silence par la politique soupçonneuse et rétrograde de la restauration. En 1828, une réaction se fit dans les conseils du pouvoir : le ministère de M. de Yillèle renversé laissa place à un ministère libéral, celui de M. de Martignac. L’un des premiers actes du nouveau ministère fut de rendre la parole aux professeurs