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plus impérieux besoins, il verrait la végétation avancer, l’entourer et finalement l’étouffer dans ses formidables étreintes.

Baker resta six mortels mois dans ce milieu magnifique et délétère ; pendant ce temps, il vit succomber toutes les bêtes qui lui restaient, chameaux, chevaux et ânes. Ses gens tombèrent malades ; les Turcs d’Ibrahim, habitués cependant à tous les climats intertropicaux, subissaient aussi l’influence de cette nature trop riche et trop humide pour leur tempérament ; à chaque instant, ils avaient recours à la pharmacie du voyageur, trop heureux de l’avoir au milieu d’eux et d’être appelés à l’escorter. Ce qu’il y avait de plus fâcheux encore dans les pénibles circonstances où il se trouvait, c’est qu’il ne pouvait chasser et se procurer à lui et aux siens une nourriture plus substantielle. Dans les premiers temps, la viande de boucherie ne leur fit pas défaut ; mais petit à petit les naturels, blessés de la conduite des Turcs à leur égard, ne voulurent leur en fournir qu’à des conditions fort onéreuses et même fort difficiles à remplir. Ce séjour, nuisible à sa santé, dangereux pour sa femme, inutile à la science et ennuyeux pour tous, pesait, on le comprend, à notre explorateur. Ibrahim lui avait promis qu’il se mettrait en route pour le sud immédiatement après la saison des pluies ; mais Baker craignait que son intérêt ne lui fît oublier sa promesse ou n’en retardât l’exécution. Ses craintes ne se réalisèrent pas. L’année avait été mauvaise pour le facteur. Sa provision de dents d’éléphans était nulle. Aussi bien, pour mettre un terme à toute incertitude, Baker lui promit de lui faire obtenir cent quintaux d’ivoire, s’il voulait l’accompagner jusque dans l’Unyoro et auprès de son roi Kamrasi. Ibrahim n’eut garde de rejeter cette proposition.

Le départ fut immédiatement décidé. Baker, n’ayant plus de chevaux, se procura deux bœufs pour servir de montures à lui et à sa femme ; mais le premier essai ne fut pas heureux. Son bœuf, bel animal au regard vif, après avoir été bouchonné et dûment harnaché, s’effraie du costume qu’on lui met, rompt son attache, s’échappe sans qu’il soit possible de le rattraper. Celui que montait Mme Baker, se sentant piquer à la racine de la queue, rue de toutes ses forces et couche notre amazone à terre. Ces mésaventures ne l’empêchèrent pas de se mettre en route. Il partit le 5 janvier 1864 en prenant la direction du sud, traversa le Farajoc, où la végétation reprend des proportions normales, et arriva en trois jours sur les bords de l’Asua, un des affluens les plus considérables du Haut-Nil. Dans la saison pluvieuse, il a cent vingt pieds de largeur sur quinze de profondeur ; au moment où les voyageurs le passèrent, il n’avait que six pouces d’eau. Du Farajoc, Baker pénétra dans le district de Shoa. Le 22 janvier, il se trouva en face du Nil, ou de cette section du Nil qui coule du lac Victoria dans celui de Louta--