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décourager notre voyageur de peur qu’il ne s’en retournât et que le roi ne perdît de beaux présens, grave maladresse qu’il pourrait bien payer de sa tête, ni lui laisser passer la frontière avec une suite si nombreuse et une escorte de cent douze hommes armés, de peur d’introduire des ennemis dans le pays. Il avait immédiatement envoyé des messagers à Kamrasi, mais Baker ne voulait pas attendre et le menaçait de se retirer et d’aller porter ses richesses à un autre roi. Dans sa perplexité, il prit un terme moyen et consentit au passage de l’explorateur, de sa femme et de quelques domestiques, parmi lesquels Ibrahim se plaça.

Il était nuit quand Baker traversa le Nil et mit le pied sur un rocher glissant de la rive opposée. Les indigènes vinrent en foule à sa rencontre, et se formèrent spontanément en procession pour remonter la falaise, haute à cet endroit de près de 60 mètres. Ce défilé ne laissait pas d’être vraiment pittoresque. Des porteurs de torches flamboyantes ouvraient la marche ; derrière eux venait un corps considérable d’hommes armés de lances, lequel était suivi d’une bande de musiciens, joueurs de flageolets, de cornets et d’autres instrumens qui exécutaient un air des plus discordans. Venaient ensuite Baker, sa femme et leurs domestiques. Un certain nombre de porteurs volontaires fermaient la marche. La procession suivit un étroit sentier qui tantôt circulait autour d’énormes blocs de granit, tantôt disparaissait dans d’épais bouquets de bananiers, et arriva au village d’Atada, chef-lieu du district. Elle s’arrêta devant la maison du chef, qui fit à l’étranger le meilleur accueil, lui offrit des vivres et mit une hutte à sa disposition. Prévoyant bien qu’il aurait à recevoir de nombreuses visites le lendemain matin, Baker avait été s’installer sous un de ces arbres à ramure gigantesque, à l’ombre desquels mille personnes peuvent se trouver à l’aise. Il y donnait audience à une multitude qui l’examinait avec curiosité, suivait ses mouvemens, faisait mille remarques, lorsque tout à coup ces sauvages se précipitèrent vers la tente où se trouvait sa femme. Craignant qu’il ne lui fût arrivé quelque accident, il y accourut lui-même ; mais il fut bientôt remis de sa peur en voyant que ce qui avait attiré la foule et excitait au plus haut point son admiration, c’étaient les cheveux blonds de Mme Baker. Pour respirer un peu et se coiffer au grand jour, elle s’était placée à l’entrée de sa tente et avait laissé flotter sa chevelure. Jamais semblable merveille ne s’était vue dans l’Unyoro.

Le pays présentait un caractère bien différent de ceux que Baker venait de traverser. On y apercevait partout les traces d’une civilisation ébauchée. Le sol, mieux cultivé, donnait une plus grande variété de produits. Les habitans étaient suffisamment vêtus d’une grande robe faite avec l’écorce d’une espèce de figuier fort commun dans