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son nom à tout le territoire. Or, comme Turkestan était la place la plus considérable des districts annexés, la Russie n’ayant pas l’intention de garder Tachkend, le terme employé pour désigner ses récentes acquisitions ne devait nullement éveiller la défiance de l’Angleterre.

Ces déclarations réitérées n’empêchèrent pas Tchernaïef de porter en Boukharie la guerre, qui semblait presque terminée au nord. L’émir Mozaffar, après s’être fait attribuer la tutelle du jeune prince de Kokand, avait pris en main la cause de la nationalité ozbeg, et, réunissant une armée nombreuse, sommait les Russes de rendre Tachkend. Instruit par l’expérience, il n’osa toutefois franchir le Syr-Daria pour se mesurer avec ses ennemis ; mais le général moscovite, « qui cherchait aventure, » s’avisa d’une idée assez étrange : il envoyait à Boukhara quatre agens chargés à la fois de régler les questions en litige et, selon l’Invalide, « de déjouer les intrigues de certains émissaires européens arrivés récemment dans la capitale du khanat pour soumettre à l’émir des propositions préjudiciables aux intérêts russes. » Soit que la Grande-Bretagne eût secrètement cherché à nouer des relations avec les états ozbegs pour entraver les progrès de la puissance rivale, soit que Tchernaïef eût, comme l’insinue la presse anglaise, trouvé ce prétexte commode pour intervenir dans les affaires de Boukhara, il arriva ce que l’on devait prévoir. Mozaffar, fougueux défenseur de l’islamisme et de l’indépendance turcomane, nourrissait contre les Russes une haine profonde ; il refusa d’entendre les envoyés et donna l’ordre de les jeter en prison. Le général ne pouvait laisser impunie l’offense faite à la Russie dans la personne de ses agens ; le 30 janvier 1866, il franchit l’Iaxarte à la tête de quatorze compagnies d’infanterie, de six escadrons de cosaques et de seize pièces de canon, avec l’intention avouée de marcher sur Boukhara et de contraindre l’émir à mettre ses officiers en liberté. Cette force était insuffisante pour tenter une attaque sérieuse ; arrivés à vingt-cinq milles de Samarcande, les troupes se trouvèrent au milieu d’un désert infranchissable et se virent forcées de battre en retraite.

L’échec des Russes eut naturellement pour effet d’enhardir les Boukhares ; des collisions répétées eurent lieu sur la rive droite du Syr-Daria ; enfin Mozaffar lui-même vint avec trente-cinq mille Kirghiz et cinq mille fantassins pour reprendre Tachkend. Un combat décisif fut livré à Irdjar en mai 1866 ; les Ozbegs, frappés d’une véritable panique à la vue des vides affreux faits dans leurs rangs par l’artillerie ennemie, s’enfuirent en désordre, laissant sur le champ de bataille mille hommes et un immense matériel.

L’effroi répandu par ce désastre aurait permis à l’armée