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victorieuse de marcher sur Boukhara et Samarcande, mais l’occupation prématurée de ces grandes capitales pouvait provoquer un soulèvement que le gouvernement russe ne se sentait pas encore en mesure de réprimer ; fidèle à sa politique prudente, il attendit patiemment son heure. « La conquête de la Boukharie, dit à ce sujet le journal officiel, séparée de nos possessions par la steppe aride de Kisil-Koum quelque facile qu’elle fût dans l’état actuel de l’Asie centrale, non-seulement ne saurait être le but de nos opérations, mais encore serait positivement inutile. » Les troupes russes se bornèrent à occuper Naou, importante forteresse construite sur la route de Kokand à Boukhara. Par cette habile manœuvre, elles coupaient toute communication entre les deux pays, et empêchaient Mozaffar de venir au secours des places situées sur la rive droite du Syr-Daria. Khodjend, l’une des cités les plus considérables du Turkestan au point de vue commercial et stratégique, offrait dès lors une proie facile. La garnison boukhare en avait été retirée ; les habitans, livrés à eux-mêmes, se défendirent néanmoins avec une bravoure qu’atteste suffisamment le chiffre des blessés et des morts ; mais, incapable de résister à des assaillans munis de toutes les ressources de la civilisation européenne, la ville fut prise le 21 mai, et bientôt après annexée définitivement à l’empire.

Vers la même époque, la population de Tachkend, comprenant la nécessité de courber la tête devant de nouveaux maîtres, exprima, dit le Journal de Saint-Pétersbourg, le désir de passer directement sous la sujétion de l’empereur Alexandre. L’aide-de-camp du gouverneur d’Orenbourg, s, étant rendu dans le Kokand au mois d’août dernier, reçut le pain et le sel sur un plat d’argent, et les notables lui remirent une adresse conçue en ces termes : . « Une mer ne peut contenir deux mers ; il ne peut y avoir deux empires dans un seul. Chargez-vous donc de demander la réunion de notre province à la Russie, afin qu’elle lui appartienne désormais au même titre que les autres régions de l’empire. » En conséquence, les habitans de Tachkend furent mis au nombre des sujets du « tsar blanc, » qui, pour se les attacher, promit de respecter scrupuleusement leurs coutumes et leur religion, et maintint tous les fonctionnaires indigènes dans les charges qu’ils occupaient. C’est ainsi que le cabinet de Saint-Pétersbourg, employant tour à tour la guerre et la diplomatie, habile à mettre les intérêts des peuples vaincus d’accord avec son ambition, à envenimer les jalousies qui les divisent, étend et consolide chaque jour son influence dans ces parages. Après avoir séparé l’Asie centrale en deux tronçons isolés l’un de l’autre par le Syr-Daria et les forteresses russes, il tourna ses regards vers ce khanat de Boukhara, dont naguère encore il déclarait la possession inutile à ses intérêts.