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sage et qui nous paraît plus que prudent : « Ce serait trop priser les vertus humaines de penser que Dieu les refuse à ses ennemis? » Comment! on ira jusqu’à dédaigner les vertus parce que Julien les a possédées! Ces détours de langage, ces louanges indirectes ou arrachées ne prouvent qu’une chose, c’est qu’il est impossible d’enlever à Julien son honneur. On ne peut lui refuser la pureté des mœurs, ni l’héroïsme, ni le constant souci du bien public, ni l’humanité, ni le don de plaire. Grand général avant d’avoir manié une épée, maître des cœurs par son éloquence militaire, il égala les plus célèbres capitaines au sortir des écoles. Habile et redoutable dans la controverse religieuse et philosophique, il fut un des premiers écrivains de son temps, et fit preuve non-seulement de facilité impétueuse, mais d’élégance et de grâce. Son orgueil ne s’abaissa jamais à la cruauté ni à la vengeance, et ne fit tort qu’à lui- même. Presque irréprochable, sinon dans sa conduite, du moins dans ses désirs, il n’eut d’autre vanité que celle de l’esprit et peut-être celle de la vertu. Plutarque aurait pris plaisir à composer sa biographie, et l’aurait ajouté à la liste de ses héros. Comptez en effet dans l’histoire des temps anciens et des temps modernes les princes qui furent plus grands que Julien, et vous serez bientôt au bout de votre énumération. Sa gloire n’égalera pas peut-être en tous sens celle des plus illustres; mais, si elle est trop courte par quelque endroit, elle pourra bien, par un autre côté, la dépasser; s’il n’a pas le génie de César, il a plus de vertu; s’il n’a pas la vertu unie de Marc-Aurèle, il a plus d’esprit. Aucun n’eut plus que lui la bonne volonté, ne poussa plus loin la patience et ne contint d’une main plus ferme ses passions. Malheureusement l’amour du surnaturel qui s’était emparé de toutes les âmes et l’oppression qui pesa sur son enfance et sa jeunesse détournèrent la sève généreuse qui était en lui vers les dangereuses rêveries et les mystérieuses curiosités; mais ses défauts mêmes et les imprudences de son esprit, trop ardent à pénétrer les choses célestes, témoignent de sa grandeur. En politique il s’éleva jusqu’à la chimère, en philosophie jusqu’au mysticisme, et si son génie rencontra les nuages, c’est qu’il était haut.

Ne refusons pas à Julien cette gloire pour laquelle il a tant travaillé et que nous pouvons lui accorder avec d’autant moins de scrupules que nos éloges ne balanceront pas les injustices passionnées et les injures dont quinze siècles chrétiens ont accablé son nom, mais n’oublions pas de réprouver hautement sa malheureuse entreprise. Sur ce point, nous serons peut-être plus sévère que M. de Broglie lui-même, car au reproche qu’il lui fait d’avoir traversé les destinées du christianisme nous ajouterons cet autre reproche,