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d’avoir traversé les destinées de la philosophie. Il n’a pas été seulement hostile à l’avenir, il a été infidèle au passé. Tandis que les efforts séculaires de toutes les sectes philosophiques ont eu le but commun de détruire la superstition, lui, le disciple égaré des philosophes, a tout fait pour la réveiller. Sa foi insensée, en arrêtant le cours de la raison humaine, a encore essayé de lui faire rebrousser chemin. Bizarre fanatisme que l’esprit du temps explique, mais n’excuse pas chez un si grand homme, et qui pouvait paraître regrettable même à plus d’un sage païen! Un de ces chers confidens auxquels Julien se plaisait à ouvrir son cœur et à qui il permettait les honnêtes réprimandes n’aurait-il pas été en droit de lui dire : « Quoi! Socrate, Platon, Cicéron, Sénèque et tous les sages ont voulu épurer le culte, ils ont dévoilé les hontes et les mensonges de la superstition, et vous, leur successeur couronné, vous rétablissez ce qu’ils ont détruit, vous rappelez les aruspices, qui n’osaient plus se montrer; vous rendez la voix aux oracles muets, vous allez chercher l’avenu’ dans les entrailles des victimes! Et, comme si nous n’avions pas assez de superstitions, vous faites venir encore celles de l’Egypte et de la Perse ! Est-il besoin de nous ramener en arrière aux temps de Romulus et de Numa? Ces chrétiens que nous détestons tous deux sont peut-être de plus fidèles héritiers de Platon, eux qui prétendent n’offrir à leur Dieu que ce qu’on lui offrait dans l’Académie ou dans le Portique, c’est-à-dire un culte intérieur et tout moral, qui méprisent ce que la philosophie a méprisé, qui honorent ce qu’elle a honoré. S’ils ont aussi leurs superstitions, combattez-les par la philosophie et non point par des superstitions surannées. Opposez à leurs miracles votre incrédulité et non point vos prodiges. Si en voulant arrêter leur erreur vous êtes vaincu, on pourra vous louer d’avoir combattu au nom de la raison humaine, mais on ne vous pardonnera pas d’avoir lutté pour un culte condamné. Exécré dans l’avenir par le christianisme votre vainqueur, vous serez encore un sujet d’éternels regrets pour la philosophie, dont vous aurez obscurci la cause. »

En essayant de rétablir le portrait de Julien, qui nous paraît avoir été défiguré en maint endroit par M. de Broglie, nous ne voudrions pas laisser croire pourtant que dans ses jugemens, selon nous rigoureux, il soit entré de mesquines passions, un parti-pris systématique, comme on en rencontre en d’autres histoires qui, pour mieux édifier le lecteur, ne font que compromettre leur crédit par la légèreté de leur critique. Dans ce grand ouvrage dont nous n’examinons qu’un épisode, tout est noble, le fond et la forme, tout est solide, médité, sincère, et les erreurs mêmes ont du poids. Sans doute, lorsque M. de Broglie parle de la société païenne, nous le