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mencent qu’au sud de la longue côte uniforme du Chili, avec l’île de Chiloë, ses nombreuses baies et le réseau des détroits de l’archipel de Magellan et de la Terre-de-Feu. C’est dans l’hémisphère austral la seule région où se montre ce phénomène étonnant de tortueuses et profondes vallées remplies par les eaux de la mer.

Ainsi l’étude comparée de tous les rivages amène à la constatation de ce fait, que les fiords se rencontrent uniquement sur le littoral des contrées froides, et qu’à égalité de température ils sont beaucoup plus nombreux et plus développés sur les côtes occidentales que sur les rives tournées vers l’orient. Pourquoi cet étrange contraste géographique s’est-il produit entre les divers rivages suivant la position qu’ils occupent au nord ou au midi, à l’ouest ou à l’est? Pourquoi les plages et même les falaises baignées par une atmosphère chaude ou tempérée ont-elles pris dans le profil de leurs courbes une si grande régularité, alors que les vallées ouvertes dans l’épaisseur des plateaux de la Scandinavie, du Groënland et de la Patagonie ont conservé leur forme première? Une cause dont les effets se sont produits à la fois et de la même manière aux deux extrémités des continens, dans les terres boréales de l’Amérique et de, l’Europe et dans les îles magellaniques, doit avoir été nécessairement un grand phénomène géologique agissant pendant tout un âge de la planète.

Ce phénomène n’était autre que la rigueur du froid qui se faisait jadis sentir sur la surface du globe, et transformait en longs fleuves de glace les névés des montagnes. La carte parle elle-même pour ainsi dire; elle raconte clairement comment les fiords, ces antiques découpures du littoral, ont été maintenus dans leur état primitif par le séjour prolongé des glaciers[1]. En effet, la période de froid dont on voit encore les témoignages non équivoques jusque sous les tropiques et sous l’équateur, au pied des Andes et dans la vallée de l’Amazone, a naturellement duré plus longtemps dans le voisinage des pôles que sous la zone torride et dans les régions tempérées. Cette période glaciaire, terminée peut-être depuis des milliers et des milliers de siècles sur les plages brûlantes du Brésil et de la Colombie, n’a cessé sur les côtes de France et d’Angleterre que depuis une époque relativement récente, A un âge encore plus rapproché de nos temps historiques, les fiords de la Scandinavie se sont à leur tour dégagés des glaciers qui les remplissaient, et tout à fait dans l’extrême nord et dans les régions antarctiques il est des contrées où les fleuves de glace descendent encore jusqu’à la mer et s’étalent au loin dans les golfes. Le glacier de la baie de Madeleine, qu’ont exploré MM. Martins et Bravais, se projette au loin dans un fiord qui n’a pas moins de 100 mètres de profondeur, et la falaise ter-

  1. Une des dernières livraisons des Mittheilungen de Petermann nous apprend qu’un savant bavarois, M. Oscar Peschel, s’est occupé des fiords dans leurs rapports avec la période glaciaire. Sans avoir lu le mémoire de M. Peschel, il nous semble impossible qu’il ait pu arriver à une conclusion différente de la nôtre.