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minale de glace, poussée en avant par le poids des neiges supérieures, se déploie en une ligne courbe tournant sa convexité vers la haute mer. Sur des côtes encore plus froides, comme au nord du Groenland, et de l’autre côté du monde, sur le pourtour des terres antarctiques, les baies sont même entièrement comblées par les glaces, et celles-ci débordant au large donnent un profil régulier à l’ensemble des côtes. Les vagues de la haute mer viennent se heurter contre un long mur de cristal, mais ces assises glacées déguisent la vraie forme de l’architecture des continens, comme le font sous d’autres climats les alluvions fluviales et les flèches de sable marin. Des vallées profondes découpent aussi le littoral de ces côtes polaires, et dans une période géologique future, lorsque les glaces de ces contrées auront disparu, ces échancrures du continent deviendront à leur tour des fiords semblables à ceux de la Scandinavie.

A l’époque où les baies de la Norvège étaient comblées par les glaces, comme le sont de nos jours celles du Groenland septentrional, elles gardaient leur forme primitive, si ce n’est que les parois latérales et les roches du fond étaient striées et polies par le frottement de la masse en mouvement et des débris qu’elle entraînait. Les blocs de pierre tombés sur les névés et sur le champ du glacier, les amas de cailloux et de terre enlevés par les intempéries et le dégel aux flancs des montagnes formaient des moraines exactement semblables à celles que l’on voit actuellement sur les glaciers amoindris des monts Scandinaves; mais ces moraines, au lieu de s’écrouler avec les glaces dans quelque vallée située à des centaines de mètres de hauteur, étaient portées jusqu’au débouché des fiords dans la haute mer et s’abîmaient au milieu des flots avec les pans détachés du glacier lui-même. Les éboulis successifs de roches et de cailloux devaient nécessairement élever peu à peu une moraine frontale sous-marine, et l’on trouve en effet à l’entrée de tous les fiords Scandinaves des bas-fonds de débris se dressant comme des remparts hors de l’eau profonde. Les marins de la Norvège donnent le nom de « ponts de mer » à ces barrages naturels qui servent de limites aux anciens glaciers et où les poissons des eaux voisines se rassemblent par myriades. Au large des côtes de l’Ecosse occidentale, de même qu’à l’entrée des petits golfes du Finistère, on remarque aussi des cordons de bancs sous-marins et de récifs qui ne sont probablement autre chose que d’anciennes moraines glaciaires.

Après la période de froid qui précéda les âges actuels, les glaciers de la Scandinavie reculèrent peu à peu dans l’intérieur des fiords, puis cessèrent de toucher le niveau de la mer, et leur extrémité inférieure remonta de plus en plus loin dans les vallées ouvertes sur le flanc des monts. C’est alors que commença pour les torrens et pour la mer l’immense travail géologique du comblement des baies. Les eaux fluviales apportent leurs alluvions et les déposent en plages unies au pied des montagnes, tandis que la mer étale en nappes de sable ou de vase tous les débris des rochers qu’elle sape