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à tout prix, son assassin prit aux mains de ses complices un second fusil à deux coups, et il allait sans aucun doute consommer cet odieux fratricide, lorsque l’arrivée des deux gardes-chasse du marquis et leur promptitude à tirer sur les inconnus qu’ils trouvaient aux prises avec leur maître changèrent subitement la face des choses. Le chevalier et ce Lacour dont nous parlions furent couchés à terre par cette première décharge. En revanche un des gens du marquis demeura sur la place. Quant à ce dernier, navré de douleur et tout ému de cette scène sanglante, il prit à peine, une fois certain que le chevalier et son complice avaient succombé, le temps de faire panser sa blessure; puis, gagnant Paris à franc-étrier, il alla frapper tout droit à l’hôtel de Novion pour réclamer l’assistance du président, qu’il avait encore lieu de compter au nombre de ses amis, et dont il était bien loin de soupçonner la ténébreuse complicité dans cette terrible affaire.

Il le trouva sorti, et n’ayant pu pénétrer chez le fils, consigné chez lui par les médecins, il monta dans l’appartement de Mme de Novion pour prendre congé d’elle à la veille d’un exil désormais inévitable, et dont il ne pouvait guère calculer la durée. Cette belle sommeillait en ce moment à côté d’une fenêtre que la chaleur l’avait forcée de tenir ouverte, la tête appuyée sur sa main, le coude soutenu par le montant de la croisée. Un léger manteau de toile de Chine, négligemment fixé autour de son cou, une cornette de point de Venise qu’elle n’avait pas pris soin d’accommoder, ses cheveux noirs négligemment épars sur son front, et dont les touffes crêpelées se jouaient au souffle du vent d’été, formaient un ensemble gracieux devant lequel l’amoureux marquis tomba comme en extase. Les sinistres événemens de la matinée s’effacèrent en un instant de sa mémoire, et peu s’en fallut que, perdu dans son admiration, il ne fît faute à l’heureux hasard de cette rencontre... La dame pourtant, qui vint à se réveiller et le vit ainsi tout à coup devant elle, porta vivement une de ses mains sur sa bouche légèrement effleurée. — Ah! ne vous fâchez point, lui dit le marquis en lui montrant une tubéreuse qu’il venait de prendre à l’instant même sur une table voisine, je me suis seulement permis de passer trois fois cette fleur sur vos lèvres, en vous donnant chaque fois un soupirant nouveau, pour savoir lequel des trois vous tient le plus au cœur... Madame, continua-t-il se jetant à ses pieds, un événement inattendu va m’obliger à partir, à me séparer de vous.

— Qu’est-il donc arrivé? demanda Mme de Novion avec un trouble visible.

— Rien, madame, rien dont je veuille vous parler maintenant... Et de fait il avait commencé à l’entretenir de tout autre chose