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Toutes les clauses du traité de Cambrai étaient accomplies. Cette paix onéreuse, mais nécessaire, mettait un terme à la première période de la lutte qu’avaient soutenue pendant huit années, avec tant d’animosité, les deux monarques si diversement ambitieux et si inégalement habiles, dont l’un avait beaucoup d’esprit et le plus hardi courage, l’autre beaucoup de sens et la plus ferme constance. Brillant et brave, prompt à concevoir, ardent à entreprendre, embrassant trop de choses pour suffire à toutes, mettant dans ses desseins plus d’imagination que de suite, annonçant au-delà de ce qu’il faisait, promettant bien plus qu’il ne pouvait et se plaçant, par des engagemens qu’il ne devait pas tenir et des revers qu’il ne savait pas éviter, dans des positions où, tout en étant très chevaleresque, il ne se montrait pas toujours loyal, François Ier, qui se priva souvent par sa faute des hommes les plus capables de le servir, et dont la légèreté compromit quelquefois, les affaires les mieux engagées, avait échoué en ayant une partie de ce qu’il fallait pour réussir.

Avec moins d’éclat, Charles-Quint avait plus de solidité; son esprit n’était pas vif, mais il était net, judicieux, assuré, et la vigueur en lui remplaçait l’ardeur. Il portait dans l’examen comme dans la conduite de ses affaires une application soutenue et cette forte prudence qui n’empêche ni d’agir ni d’oser. Là où il intervenait avec lenteur, il persistait avec opiniâtreté, et son caractère, aussi tenace que son génie, finissait par lui assujettir la fortune, qui d’ordinaire se déclare en faveur de ceux qui voient le mieux et veulent le plus longtemps. Bien secondé par les serviteurs de son autorité, qu’il employait à propos, rendu victorieux par les capitaines de ses armées, qu’il choisissait habilement, Charles-Quint, qui semblait revendiquer des droits en poursuivant des intérêts et qui couvrait d’apparences modérées d’ambitieux desseins, se possédant mieux que François Ier, réfléchissant davantage, agissant moins vite, sachant persévérer dans ce qu’il avait résolu et suppléer bien des fois à l’insuffisance de ses moyens par l’énergie de ses volontés, était à la longue parvenu à ses fins. Le traité de Cambrai accorda François Ier et Charles-Quint sans les unir, il suspendit par une réconciliation apparente le cours de leurs naturelles inimitiés, et au fond il fut moins une paix qu’une trêve entre ces deux grands rivaux.


MIGNET.