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contre les produits de l’industrie européenne s’opérait sans péril et sans entraves, nul peuple de l’Europe n’aurait plus intérêt à s’imposer les frais et les embarras d’établissemens lointains. La méfiance et les violences dont certains gouvernemens de l’Asie ont usé envers les Européens, l’obstination qu’ils mettent à interdire tous rapports avec les étrangers, sont aujourd’hui les motifs et les excuses de la conquête. Conduits par les besoins du commerce à aller chercher au loin les productions devenues nécessaires que le soi de l’Europe ne fournit pas, les états européens se voient forcés de s’établir en maîtres là où ils eussent souvent préféré être reçus en alliés. C’est ainsi que la France, en s’installant à Saïgon après une série d’incidens qu’elle n’a pas toujours dirigés à son gré, céda surtout à l’espoir de s’y créer d’importantes relations commerciales. Dans quelles conditions ce désir était-il réalisable? On n’a pu se flatter de faire de Saïgon un vaste entrepôt maritime rival de celui de Singapour, réunissant dans son port le commerce de l’Europe, des Indes et de l’extrême Orient. La différence des situations excluait tout rapprochement. Singapour, à l’entrée du détroit de Malacca, sur la route directe des navires qui se croisent entre l’Europe et l’Asie, est un de ces points que la nature désigne pour devenir un des centres commerciaux du monde. Saïgon au contraire, situé à cinquante-cinq milles dans les terres, au fond d’un fleuve dont la navigation n’est pas toujours exempte de difficultés, exige des navires qui s’y rendent un détour assez long, une perte de temps et une augmentation de frais que le commerce est rarement disposé à subir.

L’objet auquel la colonie française semble se prêter, c’est à réunir en abondance les matières premières cultivées dans l’intérieur et que recherchent les fabriques européennes, à écouler en échange dans la consommation indigène les produits sortant des manufactures françaises à mesure qu’ils seront mieux connus et plus appréciés. Tel est aussi le but que les Hollandais ont atteint dans leur magnifique colonie de Java, et celui que les Anglais poursuivent en Birmanie: mais le peu d’étendue des établissemens français de Cochinchine, réduits à mille cinq cents lieues carrées[1], le chiffre minime de la population, qui s’élève au plus à neuf cent mille âmes, ne suffiraient pas à alimenter un marché de production et de consommation assez considérai)le pour attirer et retenir un grand commerce. La France est-elle en mesure de suppléer à cet inconvénient par la facilité de ses communications avec les pays voisins? a-t-elle entre les mains tous les débouchés du trafic inté-

  1. Exactement 22,380 kilomètres carrés.