Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/434

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rieur de façon à s’en assurer le monopole ? Les Anglais, nos maîtres en fait de colonisation, quand ils se sont établis en Birmanie, ont tenu à s’emparer des bouches du fleuve Irrawaddy. De toutes les voies fluviales qui traversent la colonie de Saïgon, une seule, le fleuve Mékong, dépassant la ligne des frontières, peut mettre l’influence et le commerce français en mesure de pénétrer au loin. Il importe donc d’en connaître le cours et d’examiner jusqu’à quel point la colonie en dispose.

Le territoire de l’Indo-Chine est partagé en trois bassins principaux correspondant à trois divisions politiques : à l’ouest, le bassin de l’Irrawaddy, où s’est constitué le royaume de Birmanie, et dont l’Angleterre possède toute la partie méridionale ; au centre, le bassin du Meïnam, formant le royaume de Siam ; à l’est enfin, le bassin du Mékong, partagé entre plusieurs états. C’est à l’extrémité orientale de ce dernier bassin qu’est située la colonie de Saïgon, et c’est dans cette enceinte que doit s’exercer le plus immédiatement l’influence française. Le fleuve Mékong prend sa source dans les montagnes du Thibet, au-delà des frontières chinoises, dont il longe une partie. Il pénètre dans l’Indo-Chine par une large vallée que bornent à l’est les monts des Moïs, séparant du bassin du fleuve les principales provinces de l’Annam, le Tonkin et la Haute-Cochinchine avec Hué et Touranne. À l’ouest, une chaîne d’ondulations, prolongée du nord au sud jusqu’au golfe de Siam, sert de limite commune aux bassins du Mékong et du Meïnam. Quatre-vingt-dix lieues environ avant d’arriver à la mer de Chine, le fleuve, qui a franchi la cataracte de Kong, se partage en trois bras. L’un remonte du sud-est au nord-ouest pour aboutir à un grand lac[1], les deux autres, formant un angle très aigu, continuent presque parallèlement leur route au sud jusqu’à la mer, où ils se jettent par plusieurs bouches espacées sur une étendue de côtes d’environ trente lieues. Les deux derniers bras, désignés souvent, le bras de l’est sous le nom de fleuve antérieur, celui de l’ouest sous le nom de fleuve postérieur ou Bassac, communiquent soit entre eux soit avec d’autres cours d’eau, — tels que la rivière de Saïgon, — par des canaux naturels ou artificiels. Enfin un grand canal creusé de main d’homme, que l’on appelle canal de Hatien ou de Kankao, met le bras du Bassac en communication directe avec le golfe de Siam. Un rapide examen de la carte suffit pour faire apprécier l’importance commerciale et politique du point d’où le fleuve principal projette ses trois branches. Aussi la bourgade cambodgienne qui s’y élève a-t-elle reçu

  1. C’est pour plus de clarté que nous désignons sous le nom de bras du Mékong un cours d’eau qui est véritablement un affluent sorti du grand lac.