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taires qui ne semblent amenés que pour apporter un élément d’indiscipline et de dissolution. On reste surtout confondu quant aux points essentiels, aux deux ailes de cette immense ligne de bataille déjà si bigarrée, on rencontre les Prussiens d’un côté et les Autrichiens de l’autre. L’aveuglement cependant ne pouvait aller jusqu’à croire qu’en cas de malheur ils dussent faire de grands efforts pour garder les flancs de la colonne française. On sait ce qu’il en fut.

Les illusions suprêmes qui s’étaient emparées de l’âme de Napoléon à son départ pour Moscou semblent avoir laissé place à quelques arrière-pensées que peut-être il ne s’avouait pas. Sans doute il ne prévoyait pas un désastre, mais il avait voulu parer à des accidens tels que ceux qui s’étaient produits sur ses derrières en 1809, le débarquement des Anglais à Walcheren, les tentatives du major Schill et du duc de Brunswick. A cet effet, il avait établi un corps d’armée sur l’Oder, et il avait laissé des ordres pour appeler ces 140,000 conscrits de 1813, dont un roman justement populaire nous a dépeint le type. Il avait aussi prescrit de former en « cohortes » environ 100,000 gardes nationaux âgés de 22 à 27 ans, résidu des plus anciennes classes de la conscription; ces hommes avaient été assez arbitrairement réunis sous la promesse de n’être employés qu’à la défense du territoire. Napoléon devait donc trouver, après son rapide retour de Smorgoni, environ 240,000 hommes sous les armes en France. Un sénatus-consulte suffit pour enrégimenter les gardes nationaux et mettre à néant les conditions spéciales de leur enrôlement. En retirant de l’Espagne des cadres et de nos ports les garnisons des vaisseaux devenus inutiles au fantôme de notre marine, en usant de plusieurs expédiens déjà employés à d’autres époques et dont la forme seule variait. Napoléon put réunir sur l’Elbe, au mois d’avril 1813, non pas 265,000 hommes, comme l’indiquait l’addition de ces ressources sur le papier, mais 195,000 au plus, tant le déchet, inséparable de toute formation d’armée, était grossi alors par la nature des élémens dont celle-ci se composait. Quand toutes les levées eurent rejoint, le total de notre armement, dans cette funeste année, montait à 260,000 soldats. Miracle que cette création! Mais les miracles des hommes même les plus grands ont une limite, et les peuples apprennent par de cruelles leçons à mesurer la distance qui sépare les hommes providentiels de la Providence.

Au mois de novembre 1813, 44,000 combattans, débris du désastre de Leipzig, s’arrêtaient autour de Mayence; quelques jours plus tard, ils reculaient devant l’immense armée des coalisés. L’invasion! et que faire pour la repousser? L’empereur appela 550,000 hommes qui devaient être pris sur les treize classes de 1803 à 1815 : c’était un beau projet, quoique bien autrement tyrannique