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exceptionnelle dont tous les partis l’entourèrent ; de là le crédit obtenu par lui auprès des chefs du mouvement romantique, qu’il avait à quelques égards devancés, comme auprès de ceux qui ne voyaient ou ne voulaient voir dans ses œuvres que les symptômes d’une résistance aux témérités de l’esprit révolutionnaire. N’insistons pas au surplus sur des mérites et sur un rôle qu’il ne nous est permis encore d’indiquer qu’en passant. Avant d’apprécier les travaux qui ont fait la gloire du maître, il convient de rechercher quelque chose des efforts qui l’ont préparée, et de demander aux premiers essais, aux obscurs commencemens de cette vie la promesse des entreprises prochaines ou des éclatans succès à venir.

Nous avons dit que le futur chef de notre école de peinture avait dû, dans son enfance, partager son temps entre l’étude de l’art auquel il lui serait donné ensuite de se consacrer tout entier et la musique, qui lui procurait déjà, outre de vives jouissances, quelques ressources pour subvenir aux nécessités de chaque jour et alléger d’autant les charges de la famille. La misère toutefois, dans le sens sinistre et absolu du mot, n’était pas si voisine du toit qui abrita les premières années de M. Ingres que celui-ci ait eu à l’envisager de près et à entamer avec elle une de ces luttes à outrance dont les biographies de quelques artistes célèbres nous ont transmis le souvenir. Si des épreuves de cette sorte, vaillamment affrontées d’ailleurs, étaient réservées à son âge viril, elles furent du moins épargnées à son enfance ; si le petit musicien de la chapelle de l’évêque de Montauban et un peu après du théâtre de Toulouse dut chômer quelquefois, s’il vit la gêne s’approcher par momens de lui et des siens, il parvint plus facilement alors à avoir raison de la mauvaise fortune qu’il n’y réussit trente ans plus tard, à l’époque où il était pourtant le peintre de l’Œdipe, du Virgile, de l’Odalisque, et où il entreprenait le Vœu de Louis XIII.

En menant de front deux genres d’occupation dont l’un lui fournissait des moyens d’existence immédiats, l’autre un aliment pour ses plus chères espérances, en prenant tour à tour l’archet et le crayon ; l’artiste apprenti ne faisait au reste que suivre, et même incomplètement quant au nombre, les exemples de son propre père, Jean-Marie-Joseph Ingres. Sculpteur, musicien, peintre, architecte au besoin, le digne homme suffisait à tout. Fallait-il, du jour au lendemain, édifier un reposoir pour la procession de la Fête-Dieu ou, quelques années plus tard, un simulacre de temple à la gloire des vertus républicaines, fallait-il modeler en torchis ou en carton quelque éphémère figure pour les fêtes religieuses d’une confrérie ou pour les fêtes civiques du district, faire sa partie dans un concert, peindre à la détrempe une toile de théâtre ou en